vendredi 28 novembre 2014

CP. & les autres.


La CoPilot :
- Vous écrivez ?
- Non.
- Depuis combien de temps vous n'écrivez plus ?
- Je ne sais pas, plusieurs mois.
- La photo ?
- Non plus.
- Plus de photo... 
- Le prof m'a écrit il y a quelques semaines. J'ai pleuré. Il dit que je suis un des meilleurs élèves qu'il ait eu, que même si je ne viens plus aux cours il ne veut pas que j'arrête la photo.
- Vous lui avez répondu quoi ?
- Je n'ai pas répondu. Je lui avais envoyé une lettre en décidant d'arrêter.
- Qu'est-ce que vous lui aviez dit ?
- ... Que j'avais « perdu du beau ». Que je ne peux en chercher, en montrer qu'à partir de l'intime & du politique, que sans ça je n'ai pas d'élans.
- La musique ?
- Très peu.
- Ça vous est déjà arrivé de ne pas écrire pendant autant de mois ?
- Je ne crois pas.
- La création et réflexion, c'est ce qui vous constitue. Pourquoi ne plus écrire ?
- ... Je ne sais pas encore. Peut-être parce que j'écris, « ça s'écrit », tout le temps en moi, c'est comme un intense monstre intérieur, un flux fou, mais que je ne peux plus dialoguer qu'avec moi, ça ne crée plus aucun sens. Je me retrouve saturé. Comme les cinq derniers mois d'enfermement, l'écriture ne devient que des murs. Murs intimes, murs politiques. J'écris fondamentalement à visée de dialogue, mais horriblement égocentrique, j'échoue en cela. Ce que je dis ne dit rien. Et puis il n'y a plus de dialogue, depuis que... qu'il n'y a plus... je... tout est déjà tellement innommable que, depuis que...
- Vous parlez d'Izlé  ?
- ... Oui.
- Vous écrivez pour elle ?
- Non. J'écris vers elle. Je n'écris jamais pour quelqu'un-e. J'écris par des flux, vers des énergies. Ce n'est pas un processus de dépôt, c'est bien plus un mouvement, en écho.
- Écho...
- Écholocation. Vibrations, attention, réception, environnement.
- Vous écriviez pourtant avant Izlé, vous avez toujours écrit...
- Oui. Mais... non, c'est ridicule à dire.
- Arrêtez de retenir. Vous retenez toujours. Et vous venez de passer cinq mois en étant retenu. On se revoit, vous n'écrivez, ne photographez plus, au moins ne retenez aucune parole ici.
- ...
- Votre écriture et Izlé, donc, dites.
- J'ai toujours écrit en pensant un dialogue avec quelqu'un-e. En rencontrant Izlé, même en étant sur le point de la rencontrer, j'ai ressenti qu'elle était ce dialogue « de longtemps ». Politiquement, poétiquement, érotiquement, éthiquement. Je ne dis pas qu'il s'agit d'un dialogue unique, bien au contraire, en vivant du dialogue avec elle je retrouvais de plus en plus d'ouvertures de dialogues avec d'autres. Mais quelque chose de rare, de « solaire » comme m'a dit un ami. Elle était cette articulation solaire. De chaleur, de sang ; ce qui lie, à soi et aux autres. J'ai cru reconnaître cela, mais elle a eu besoin de partir et j'ai compris que je ne sais rien reconnaître. Je ne peux plus écrire, créer, en étant si idiot.

Elle, la CoPilot, elle écrit écrit écrit dans son calepin.

Cette CoPilot, psychanalyste ECF, a été rencontrée en mai. Ma mémoire est un enchevêtrement de mikado, mais il me semble que c'est à la première séance qu'elle m'a demandé « qu'est-ce qui vous fait du bien ? ». D'avoir répondu : « Foucault... Deleuze, Guattari... & les autres ». Elle a souri, moi j'ai souri-invisible lorsqu'en sortant de son cabinet (qui est son garage, j'aime, comme une cabane) j'ai remarqué sa bibliothèque fournie en Foucault. On a échangé 1h30 cette première fois.
La troisième fois elle m'accueille en me disant qu'elle vient de ressortir ce livre, « en pensant à vous, le connaissez-vous ? », un Lacan, "Le Sinthome". « Non, je n'y connais rien en psychanalyse, mais je souhaite apprendre ». Elle sourit, demande en me tendant le livre :
- qu'entendez-vous ?
- Symptôme.
- Oui, il y a du symptôme. Mais pas que ça. Justement en vous. Il y a un saint homme. À partir de vos symptômes il y a ce que vous en faites, un « Sint-home », un homme saint.
- [panique] Oh non... non non non, pas ça... vraiment pas... Un raté, oui. Un symptomatique.
- Vous ne seriez pas là aujourd'hui si vous n'aviez pas su à ce point transformer vos symptômes, l'immense violence de votre enfance, parentale, médicale. Vous ne sauriez pas aimer et créer aussi fort. Vous transformez les symptômes, vous les vivez et vous les changez, en vous et autour de vous.

Je n'ai rien dit, 
essayant d'appliquer Robert Bresson : « Sois sûr d’avoir épuisé tout ce qui se communique par l’immobilité et le silence. » 

Il y a quelques jours la CoPilot m'envoie un message, elle souhaiterait que je travaille une intervention pour une journée d'étude publique d'un groupe de recherche sur la psychanalyse & (avec) l'art. La nuit d'avant Beto me propose de rencontrer une guattarienne scintillante. La convergence me fait sourire, autant que me donne envie de fuir, d'idiotie camouflée, et d'innommables comme chape de plomb. Si la liberté de mouvement permet bien une chose, c'est de fuir.