vendredi 29 novembre 2013

Continuer \phrasé\.


Mich' I damn love you so.




mercredi 27 novembre 2013

Exit.

Alors il n'y aurait plus de veines. « Elles sont toutes sclérosées, cicatricielles, trop faibles... [à sa collègue infirmière] Oh tiens touche, on ne sent même plus de poul là... »
La huitième tentative en 3 semaines, huitième échec. Échec & Heimat, comme dirait Buddy.

Ces tubes d'examens sanguins que je regarde rester vides à chaque fois en sortant épuisé du box, juste trois putain de tubes censés pister une hypothèse d'infection bizarroïde. 
Supposée infection qui tabasse de douleurs depuis 11 semaines, dont hier commencé à sentir intérieurement une odeur putride dans la gorge et les sinus.

L'infirmière adorable refuse lorsque je lui dis en sueur des 3 dernières tentatives d'aiguille qui fouille les bras que nous pouvons essayer encore, elle me dit avec douceur - yeux de soie, semble attristée - de rentrer chez moi pour prendre une semaine calme à faire un choix. Concernant 1) se faire piquer en artérielle dont elle avoue (de son expérience de 15 années en réa) qu'avec l'état de mes bras il est probable d'échouer et de léser le nerf, ou 2) passer au bloc sous anesthésie partielle pour trouver une veine profonde.

8 tentatives
3 fois [piquer par]
3 semaines
3 tubes
11 semaines
34 ans.

Désert blanc à l'esprit. Sans sang.

dimanche 24 novembre 2013

Papillotes.

















*

Il y a des fois où en rentrant lentement du cinéma par les petites rues, ou en ouvrant les yeux à 4:00 de la nuit, il y a juste quelque chose qui manque. Il y a quelque chose qui manque, qu'on aimerait bien manquer, laisser là et retourner à ce qu'il faut. Mais ça manque tellement qu'on comprend à peine ce que c'est.
On cherche, on fait des petites listes. Il y en a déjà trop, elles bouchent les artères. Il y a cette guérisseuse qui se fait appeler à l'occidentale « ostéopathe », dont le cabinet semble sorti de Manhattan (avec des photos d'amérindien-ne-s aux murs), qui en posant sa paume sur mon thorax dit « oh... vous avez très mal au coeur... », je ne veux pas lui répondre et je suis venu pour une douleur à la clavicule. Elle va allumer une bougie et de la musique classique doucement (Vivaldi, je crois), « je voudrais que vous écriviez les blessures sur des papiers et que vous les brûliez ensuite » dit-elle. Je lui dis que j'écris déjà beaucoup, sûrement trop, elle insiste « oui mais notez et brûlez ce qui vous fait autant mal ». Bêtement autistique je réponds que j'aurais peur que ça brûle les gens qui sont là-dedans, que quoi qu'ils/elles aient fait ce sont des personnes belles à qui je ne veux pas de mal. Elle sourit. Au moins elle.
On ne peut pas brûler des abandons, puisqu'il n'y a plus, que le terrain de vie a été délaissé. On ne va pas brûler les souvenirs puisqu'ils ont constitué des parcelles qui sédimentent aujourd'hui. On tente de brûler la peine par toutes les joies possibles, on ne refuse rien, on l'a déjà dit. Et lorsqu'on n'y arrive pas alors on rentre lentement du cinéma par les petites rues, on ouvre les yeux à 4:00 de la nuit.

samedi 16 novembre 2013

Pool. // Poul.

Tu les vois les vagues là sur le plafond, tu vois la lumière qui veut toute les rejoindre,
tu vois comme c'est irrésistible, comme je ne peux pas y résister, qu'il n'est (absolument) pas question de résister à ce qui est beau.
Tu vois comme la lumière peut flotter. Et toi est-ce que tu viendrais flotter,
et toi quand est-ce que tu vas te mouiller ?






(À personne. À quiconque.)




(À toi. À personne.)

 

Chez Medax les murs sont (absolument) blancs. Je passe les temps d'attente [de salle d'attente] à y écrire avec mes yeux des petits poèmes discrets dans chacun des angles, des recoins, des arêtes. Seule la lumière sait les lire, très doucement.
Et là j'écris dans le noir, au moment où ces petits poèmes se sont endormis.

A. a écrit ce soir le beau mouvement d'une claque qu'on va chercher. À base d'éveil, « quelque chose qu'on ne fait pas une fois pour se rendormir ensuite, un travail permanent de présence dans sa vie ».
Et sur l'art de vomir.
Limpide.

jeudi 14 novembre 2013

THX.

Je dis ce truc à Marie Richeux,
qu'il est facile d'être vivant-e, et qu'il est complexe de vivre.
Elle, elle dit que tout se prépare dans une surface de simplicité pour un immense sous-sol de complexité.

Bonjour/bonjour dans les escaliers.


mercredi 13 novembre 2013

Hippocrotte.

- Bonjour, je suis bien au service de pneumologie ? [relatif à la ribambelle de numéros synonymes : « consultations rez-de-chaussée haut », « prise de rendez-vous », « consultations rez-de-chaussée bas »...]
- Oui, c'est-pour-quoi ! [voix de tenniswoman venant de se faire un claquage en pleine action]
- Pour prendre un rendez-vous de consultation. Je suis...
- Qui vous envoie ?
- Ah, euh, moi-même. Je suis...
- Mais vous voulez quoi ?
- Un rendez-vous pour dialoguer avec un-e pneumologue. Je suis un homme habitant #Neptune#, de 34 ans, avec une pathologie neuromusculaire. Dernièrement je ressens une importante faiblesse en capacité pulmonaire et j'aimerais l'avis d'un-e pneumologue.
- Mais ce n'est pas ici qu'il faut appeler ! [ton de tenniswoman venant de se faire un claquage au cerveau]
- Oh... Sauf que vous m'avez confirmé qu'il s'agit du service de pneumologie ?
- Oui mais les gens comme vous c'est à l'autre CHU.
- « Les gens comme moi », d'accord... Sauf que [me vient l'idée de commencer à vouloir battre mon record de « sauf que » dans un dialogue] vous êtes spécifié-e-s en pneumologie spécialisée en pathologies neuromusculaires.
- Oui mais non.
- ...
- Vous appelez l'autre CHU.
- D'a__ccord.
- C'est le numéro 0200000000. Au revoir. [smash!]

- Bonjour, je suis bien au service de pneumologie ?
- Bah oui ! [braderie du QI]
- Je suis un homme habitant #Neptune#, de 34 ans, avec une pathologie neuromusculaire. Je ressens dernièrement une faiblesse en capacité pulmonaire et je souhaite consulter un-e pneumologue.
- Mais qui vous envoie ?! [Kafka, allô ?]
- ... Vos collègues du CHU #Ubu# ! Et moi-même, initialement.
- Mais comment ça ?
- Euh comment ça comment ça ? [envie de parler protozoaire moi aussi avec toi]
- Nous avons besoin de l'avis de votre médecin pour prendre une consultation.
- Sauf que [yeeehaaa!] mon médecin traitant va juste vous répéter ce que je suis en train de vous notifier : 34 ans, patho neuromusculaire, capacité pulmonaire en dégradation. Voilà l'information.
- Oui mais c'est à lui de vous évaluer.
- Autant que je suis à même de m'évaluer, vous savez mes poumons ils sont juste là, là-dessous depuis 3 décennies, je les connais...
- C'est aussi à votre médecin de vous soigner.
- Mais... mais... Vous avez entendu « pathologie neuromusculaire » ?
- ... Oui... [= non, cherche sur Wikipédia] et ?
- Par exemple je suis sous assistance respiratoire, je nécessite d'évaluer de quelle qualité sont les échanges gazeux pour éventuellement modifier les paramètres de la VNI...
- Il le fera.
- Ah non. Bon écoutez, la dernière fois dans cette situation j'ai été reçu par une pneumologue du CHU.
- AH BON ! Mais alors vous êtes dans nos fichiers ! Vous êtes qui ?
- [Guillaume Tell, et toi tu es vraiment une douleur dans les fesses] ... M. Xavier.
- D'accord, attendez... [doit taper au clavier avec le petit orteil] Oui nous vous connaissons. Donc pour vous ce sera une consultation pluridisciplinaire, c'est avec divers spécialistes qui vous consultent en même temps...
- Non non, pardon je vous arrête. Je sais très bien ce qu'est une consultation pluridisciplinaire [tellement bien que je ne veux plus jamais en subir une, lors de la dernière - fiasco & mirage médical - une psychologue était présente sans mon accord, scrutait intensément ma partenaire et moi, et gribouillait frénétiquement quelque chose dans son calepin à chaque fois que ma partenaire passait sa main dans la mienne ou sur ma cuisse], je ne souhaite pas voir plusieurs spécialistes mais juste un-e : un-e pneumologue.
- Alors il va falloir que nous demandions à la médecin de la consultation pluridisciplinaire.
- Demander... si ma demande de voir un-e pneumologue est nécessaire ?!
- Oui, c'est elle qui jugera. [là je la visualise comme un petit chewing-gum qui ne s'est jamais décollée de son bureau formica de secrétariat médical]
- ... Wah. [et je pèse mes mots]
- Ah non non attendez, je me suis trompé : avec votre pathologie vous dépendez d'une date [?!], donc vous viendrez lorsque cette date sera établie suivant un calendrier.
- Euh... sauf... que [fffff!]... Je vous contacte car au vu de ma situation actuelle préoccupante c'est moi qui suis en train de vous demander une date. J'ai besoin de fixer avec vous un rendez-vous.
- Ça dépend de quand vous êtes venu la dernière fois. Nous vous rappellerons.
- Mais non, attendez ! Ça dépend de ce qui est en train de se passer *maintenant*.
- C'était quand votre dernière consultation ?
- [individue décérébrée tu es en train de me bouffer tout mon précieux oxygène !] Il y a longtemps, au CHU #Ubu# avec la docteur #Marâtre#.
- Aaaaaahhhh à #Ubu# ! Alors dans ce cas-là c'est avec eux qu'il faut que vous preniez rendez-vous !
- Ah bah bien sûr, dans la mesure où eux m'ont dit que c'était vous qui deviez me prendre en consultation, vous voyez comme c'est comique ?
- Non non, nous ne vous prendrons pas.
- Super.
- Voilà, appelez-les, au revoir Monsieur.


- Bonjour, nous nous sommes eu-e-s au téléphone ce matin, homme pathologie neuromusculaire nécessitant une consultation en pneumologie, vous m'avez redirigé vers l'autre CHU qui me redirige vers vous. On peut dire que c'est rigolo...
- Mais comment ça il vous redirige vers nous ?! [je sens la hache dans sa main]
- Ils disent que suivant ma pathologie vous êtes les spécialistes [permettez-moi fortement d'en douter...], d'ailleurs ce que j'ai dit ce matin aussi.
- [soufflement souffle et soufflerie] Non mais c'est pas vrai...
- Si si...
- BON. [me signifiant : ferme la immédiatement] On va vous prendre, hein. [elle tournoie sa hache dans la main] Vous pouvez quand ?
- Ah... euh ! [tout ému d'autant de considération soudaine] Alors attendez, je vais prendre mon agenda. [que j'espère ne pas faire tomber dans les chiottes vu que je suis dans les toilettes du boulot, parce que ça prend un temps fou ces charmantes p'tites conversations et que je dois caser cela comme je peux dans la journée] Voilà, donc hum dès que possible à vrai dire, bien que me doutant que vous êtes surchargé-e-s... Votre disponibilité la plus proche ?
- La plus proche sera... attendez... mi-mars.
- ... ... ...
- Oui nous sommes surchargé-e-s.
- En effet. Mi-mars, comme le mois de mars, quoi... Nous sommes en novembre... [je regarde ma cage thoracique et le logo « Idéal Standard » de la marque du lavabo]
- C'est comme ça Monsieur.
- Oui Madame. Allons-y, donc. [mon cerveau clignote : ça ne va pas le faire]
- Ce sera donc avec le docteur #Marâtre#.
- [pitiééééé] Justement, je voudrais savoir s'il serait possible que je vois cette fois-ci un-e autre pneumologue. [sachant que #Marâtre# = cauchemar ambulant qui infantilise le patient sans jamais l'écouter si ce n'est pour le casser et lui interdire son ADV en hospitalisation]
- Ah non ce n'est pas possible. De toute façon ce ne sera pas forcément #Marâtre#.
- Euh vous venez de me dire « ce sera avec le docteur #Marâtre# » ?
- Oui mais il s'agit d'une équipe tournante de trois docteurs, dont le docteur #Marâtre#, mais ce pourra très bien être un des deux autres.
- Aaahh, un peu comme la roulette russe.
- Pardon ?
- Non, enfin oui, j'ai compris !
- Donc il y aura des EFR, une radio pulmonaire, les échanges gazeux, et une consultation.
- Oui, autre chose, je ne souhaite pas effectuer d'échanges gazeux en artérielle [parce que si ta pote me pique le nerf comme c'est arrivé 60% du temps durant la moitié de ma vie, le neurologue comme moi sommes d'accord que désormais avec mon niveau d'atteinte ce n'est plus du tout sûr que je puisse récupérer la fonction motrice de mon bras droit - seul disposant d'un débit sanguin suffisant - me permettant uniquement de travailler et conduire mon fauteuil], pouvez-vous s'il vous plaît le spécifier à l'équipe ?
- Non je ne peux pas. Vous le direz sur le moment même.
- Sauf que généralement ça passe très mal « sur le moment même », il est préférable que l'équipe en charge des examens soit prévenue préalablement pour étudier une alternative.
- Non je ne peux pas. [je réalise ici que je parle à un cyborg] Vous n'aurez qu'à le dire au pneumologue.
- Sauf que [facepalm!] vous m'avez indiqué que la consultation avec le pneumologue sera après les examens concernant la ponction artérielle...
- Oui... Mais je ne peux rien faire pour vous.
- [d'accord robot] Message__reçu.
- Je vous envoie la convocation.
- Affirmatif.
- Au revoir Monsieur.


- Bonjour, je suis bien au centre antidouleur ? [relatif à l'information web du CHU local vraiment pas évidente, le webmaster doit être un stagiaire de maternelle petite section]
- Vous êtes au centre antidouleur neuro-chirurgie, oui. [mélange tonalité voix des deux précédentes interlocutrices, je me dis : que ton angoisse devienne ludique mon petit, tiens bon !]
- Ow... « neuro-chirurgie », veuillez m'excuser, je me suis peut-être trompé...
- [puissamment excédée] Vous êtes bien au centre antidouleur neuro-chirurgie !
- Oui, euh... pardon... c'est juste que... [grognasse disposant de bouse à la place du liquide rachidien, si tu savais en tant qu'autiste comme c'est du triathlon pour moi de te parler téléphoniquement en plus de tes deux cousines !!!] « neuro-chirurgie » me questionne parce que...
- C'est pourquoi Monsieur ?! [elle ouvre son Taser]
- Oui, d'accord... Un rendez-vous, un rendez-vous. [panique neuronale, sueur diluvienne, ongles enfoncés dans l'épiderme]
- Mais vous êtes qui ?
- [ta cible ?] Un particulier.
- Non alors il nous faut un courrier de votre médecin.
- Ah bah oui...
- Qu'il nous explique qui vous êtes.
- [je retiens un éclat de rire] Bien sûr. Je suis sûr qu'il le sait mieux que moi.
- D'accord ? Après courrier nous étudierons votre situation.
- [capitulation et tautologie] D'a__ccord.
- Très bien Monsieur.
- Bonne journée.
- [elle a déjà raccroché]




Puis en sortant du boulot je m'estime terriblement chanceux d'avoir réussi 1) par moi-même en tant que particulier 2) obtenir un rendez-vous 3) pour le jour même avec le médecin généraliste.
Médecin généraliste par défaut, non par choix, le troisième trouvé après plusieurs mois d'arrivée à #Neptune# où j'ai commencé à découvrir le potentiel médical effarant de cette ville dont
- 80 % des médecins généralistes refusent désormais de se déplacer à domicile (concernant pour autant le territoire national et pas seulement cette ville) et me demandent d'appeler SOS-Médecins pour un renouvellement d'ordonnance
- le premier médecin généraliste ressemblant à Droopy sous 3 siècles d'héroïnomanie, répondant au téléphone toutes les 33 secondes, expliquant à chaque fois qu'il raccrochait combien les patients étaient bêtes et qu'il détestait son boulot, puis me demandant si je pouvais me lever du fauteuil là ;
- le deuxième médecin généraliste, me voyant à la dernière consultation préparer mes affaires pour un voyage, m'a demandé si je réalisais que bientôt « ce ne serait plus possible, je veux dire bientôt vous aller passer votre temps ici [me montre le lit], alité sous respirateur [70's « respirateur » !], parce que dans votre état il ne reste plus beaucoup de temps, il faut que vous en ayez conscience... » ;
- alors bon bah le troisième disposant d'un cabinet accessible d'entrée et se la pétant de connaître ma pathologie, je dis oui. Ne sachant pas que ça voulait également dire oui à sa transphobie mal assumée, à sa passion de la moto qu'il essaie toujours de me caser en discussion (sa tentative de complicité masculine, of course), mais d'ailleurs surtout sa passion de parler de toutes ses passions.

Parce qu'en fait ce médecin généraliste il parle irrésistiblement de lui. Hier sur la consultation de 45 minutes il a parlé :
> 10 minutes de ses opérations de dents de sagesse (en détail absolu, de l'impact sur son quotidien, ses gamins, sa femme, la qualité de son sommeil ; j'ai pu éviter ses prouesses sexuelles)
> 15 minutes de l'accessibilité PMR de son cabinet
> 10 autres minutes ont été consacrées à son cours pédagogique sur ce qu'est une dent de sagesse & son extraction, alors qu'il n'imprime toujours pas que je suis du genre ultra informé de la moindre chose existentiellement concernée
> 10 autres minutes de pédagogie sur ce qu'est un antibiotique, sachant qu'il me le fait chaque année et que je n'en peux plus de le voir mimer les globules blancs.
J'ai peut-être eu de façon conglomérée une minute et demie pour parler de la raison de ma venue.

J'en suis ressorti avec une envie de séquestration de sa confrérie, ou de déflagration de son estime suprême. En cela qu'il m'a chialé dessus que - suivant la loi de février 2005 sur le handicap version patrie hypocrite - il est obligé de rendre accessible son cabinet avant le 1er janvier 2015. C'est au moment où j'allais enfin sortir de son cabinet avec mon ordonnance (voulue) de bilan sanguin carabiné qu'il m'a retenu par : « au fait, j'aimerais savoir, je vais être obligé de mettre aux normes d'accessibilité le cabinet suivant la loi, mais avec mon associé nous ne voyons pas ce que nous pouvons faire pour disposer de toilettes accessibles, qu'en pensez-vous ? » J'étais bouche-bée, qu'est-ce que j'en pense, tu oses me demander ce que j'en pense tout en percevant déjà en supersonique ton ton mi-victimaire mi-accusateur ?
De bien évidemment j'ai pu à peine en placer une. Dans ma tête ça n'arrêtait pas de répéter « mais pourquoi idiot tu lui as dit un jour bosser dans le domaine des autonomies liées aux handicaps ! » Et de bien évidemment il se plaignait, se plaignait et se plaignait. De la rudesse de la loi vis-à-vis de lui, qu'il se retrouvait lui pauvre médecin valide dans une situation impossible et très angoissante, qu'il fallait que je le comprenne... La douleur au cou pour laquelle je suis venu le voir déjà lancinante depuis des heures devenait explosive à mesure de ses propos bavés. Toutefois je restais calme, observant son cinéma gratuit de déculpabilisation culpabilisatrice, lui ne voulant pas être le méchant valide mais moi l'handi (soudainement national) le rendant quand même coupable et le poussant à la banqueroute pour quelques travaux d'aménagement. Lorsque sa parole ventripotente a eu besoin d'une petite pause de respiration, j'ai doucement demandé : « tout de même ce qui me questionne, depuis 2005 vous aviez le temps de prévoir vos finances pour une mise en accessibilité, non ? » Impressionnant : il a balbutié. Du jamais vu. D'autant plus qu'à la fin du balbutiement ce fut un : oui. Moisi, mais « oui ».
Mais vint son coup de grâce, qui m'a enflammé chacune des douleurs corporelles comme une fête foraine et m'a fait étreindre mon paquet de clopes en rentrant. Voyant que mon sourire ne validait que très peu de ses arguments, il a lâché « de toute façon mon associé dit que c'est déjà bien que vous puissiez entrer dans le cabinet, que si en plus il vous faut des toilettes... enfin hein c'est déjà bien, il veut dire, que vous puissiez entrer, bon aussi les toilettes ça fait quand même beaucoup quoi ! » Ça faisait depuis longtemps que je n'avais pas entendu ouvertement un tel discours visqueux, ça faisait depuis l'apartheid me suis-je dit les larmes aux yeux sur le chemin du retour.