lundi 9 juin 2014

Melting-p_v_otes.


« Ceux qui portent le négatif ne savent pas ce qu'ils font : ils prennent l'ombre pour la réalité, ils nourrissent les fantômes, ils coupent la conséquence des prémisses, ils donnent à l'épiphénomène la valeur du phénomène et de l'essence.
La représentation laisse échapper le monde affirmé de la différence. La représentation n'a qu'un seul centre, une perspective unique et fuyante, par là même une fausse profondeur ; elle médiatise tout, mais ne mobilise et ne meut rien. Le mouvement pour son compte implique une pluralité de centres, une superposition de perspectives, un enchevêtrement de points de vue, une coexistence de moments qui déforment essentiellement la représentation [...]. 
C'est dans la différence que le phénomène fulgure, s'explique comme signe, et que le mouvement se produit comme « effet ». Le monde intense des différences, où les qualités trouvent leur raison et le sensible, son être, est précisément l'objet d'un empirisme supérieur. Cet empirisme nous apprend une étrange « raison », le multiple et le chaos de la différence (les distributions nomades, les anarchies couronnées). [...] Le monde n'est ni fini ni infini, comme dans la représentation : il est achevé et illimité. L'éternel retour est l'illimité de l'achevé lui-même, l'être univoque qui se dit de la différence. Dans l'éternel retour la chao-errance s'oppose à la cohérence de la représentation ; elle exclut la cohérence d'un sujet qui se représente comme un objet représenté. [...] »


Gilles Deleuze
"Différence et répétition" - La différence en elle-même
PUF, 1968
extrait salement tronqué entre les pages 78 à 80
que je lis et relis




Ce qu'il dit à 15:12.




 


Badiou est du genre un peu trop partout (multimédiasque), mais les quelques fois où il blablate brièvement sur « l'amour » ça me va, ça me donne envie de lui taper un high-five.






/\



Réflexions perso et express [migraine-faiblard-oxygène] sur le rapport à la dépendance. 
Du moins de ce qui est communément exprimé autour de moi, dans le petit cercle puis dans les grands cercles : la peur de la soi-disant dépendance amoureuse.

N'ai quasi entendu que de la bouche de personnes valides cette crainte à déconstruire de toute sa sueur existentielle, cette redoutable situation annonçant du Titanic. Peut-être parce que le Titanic n'était pas accessible aux handi-e-s. De cet axe de réflexion, constatation : grande majorité des valides [échantillon de 90 % de mon entourage divers en bientôt 35 années terrestres] n'expérimentent pas la dépendance quotidienne à d'autres êtres humains, s'en remettre à autrui pour pouvoir agencer les banalités {banalité = vitalité} d'une journée et d'une nuit : se laver, manger, pisser-chier, se mouvoir, se déplacer, travailler, attraper, se gratter, se toucher, respirer, se soulager des douleurs, etc. Le corps des valides est l'armature royale de leur indépendance, d'où est proclamée la dangerosité de la moindre dépendance à quelqu'un-e d'autre, sous-entendant fréquemment une dépendance émotionnelle dans la mesure où une forme de dépendance technico-physique est à peine présagée.
Il y a déjà je crois un foutoir fondamental à focaliser sur la notion d'in/dépendance qui brouille le potentiel protéiforme de la notion d'autonomie, il y a amalgame des deux. L'équation vivante (simplifiée) me concernant est celle-ci :

[ici hautes] dépendances technico-physiques
+
&
recherche et élaborations d'autonomie/s
=
<>
agencements d'interdépendance/s.

L'interdépendance - et autres terminologies similaires - est ce qu'il y a de possible entre la dépendance et l'autonomie, qui ne s'excluent justement pas du tout l'une par rapport à l'autre mais peuvent créer une liaison, un pont entre leur différence structurelle, une innervation coordonnant leurs gestes préconçus comme dissemblables.
Je ne conçois pas d'aimer sans me sentir autonome vis-à-vis de mon-ma partenaire, autant que je ne me sens pas de considérer négativement la part de dépendance qui se crée avec ellui. Ma dépendance amoureuse/émue/sensible est d'autant mieux un point d'appui stimulant (et source de jeux d'équilibre) pour considérer l'autonomie, un point de vue ne m'empêchant ni les émotions ni la circularité des précautions vis-à-vis de moi et vis-à-vis de l'autre. Vouloir faire les choses pour moi-même ne signifie pas constamment par moi-même, et un handicap est en cela un permanent et coriace apprentissage d'humilité, ou bien plutôt d'alchimie : de savoir diluer ce que je veux vivre dans ce que je peux vivre avec qui je p_v_eux le vivre. L'exponentiel déroutant de cet apprentissage révèle que « pouvoir » est minime à « vouloir », que le pouvoir-vivre se fabrique bien plus aisément et amplement à partir du vouloir-vivre ; la déroute elle réside dans la pauvreté du « avec qui je p_v_eux ». Et - débandade - l'ego d'un-e handi-e est cette arène déceptive entre ce qu'il-elle veut d'ellui-même, les frustrations qu'il-elle désagrège en un claquement de paupière, et ce qu'il-elle peut d'avec autrui, constatations de frustrations conglomérées et parfois sédimentées. L'ego qui doit bouffer la poussière frustrante.

[J'égo-poursuis quand même.] Ai souvent l'impression que les valides (# généralisation caca, oui, exemptant des personnes connues d'une époustouflante sensibilité) créent leur propre piège, qui serait peut-être : vouloir sans savoir comment pouvoir, car croire pouvoir de façon plurivoque. Les valides (#) se concentrent sur le fait qu'il y a plusieurs niveaux de capacité, que la capacité est divisible, au sens de compartimentée et hiérarchiquement distribuée. Du coup il y a distribution de ce qui peut et ce qui ne peut pas, avec une petite marge laissée gracieusement à l'expérimentation, à « l'aventure ». 
De façon handie les « capacités » sont tellement chaotiques - chroniques, dégénératives, mé(re)connues - qu'elles sont d'ores et déjà subdivisées, j'entends par là dispersées à tout ce qui est possible, elles n'ont d'organisation que la recherche des possibles plutôt que sa distribution préétablie. La part de l'expérimentation n'est pas ici laissée mais cueillie, cultivée (et probablement univoque).
De façon handie savoir ce que l'on veut c'est a/voir le goût, les goûts, de ce que l'on peut. Et 'pouvoir' c'est justement goûter, y compris goûter depuis les pièges-enfermements que la normovie appareille, machinise, goûter clandestinement s'il le faut (donc souvent). C'est-à-dire apprendre - « apprendre » se diffère ici aussi de « prendre » - à pouvoir presque n'importe quand, n'importe où, dès que ça m'importe, dès que ça t'importe, alors dès que ça nous apporte. « Nous » là est en ricochets, des deux premiers éléments-individus qui, suivant le déploiement de leur attirance, peuvent faire rebondir le possible aux éléments alentour.

La dépendance à quelqu'un-e d'aimé-e n'est certainement pas d'un goût amer pour moi. C'est une sorte de synergie, comme tant d'autres indispensables à ma quotidienneté. 
Je ne dis pas que toutes ces interdépendances sont évidentes, mais ce qui est évident est leur potentiel, leurs réalisations, leur puissance combinée qui ne se révèle pas une charge sur quelqu'un-e mais, j'ose dire, une décharge de l'indépendance, de son caractère d'une toute-puissance peu sexy. À mon goût, hein.


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