Mon (523ème) neurologue est du style quarantenaire hirsute-séduisant, successful et dynamique, avec un goût pour l'autodérision et l'inconsidération des bienséances qui nous valent une reconnaissance mutuelle non dénuée d'un certain attachement, des dialogues soigneusement tragi-comiques.
Après, bon, c'est un spécialiste à blouse blanche. C'est-à-dire tellement overbooké de l'Hippocrate et convaincu de ses interprétations qu'il en oublie que la personne qu'il torche en 15 minutes a attendu et cogité dans ses enzymes émotifs depuis 8 mois le rendez-vous. Ce n'est pas tant grave pour moi dans la mesure où j'ai toujours considéré que ces consultations pontificales sont majoritairement de la foutaise, du protocole pathologique, une sorte de visite obligatoire de vidange. (J'ai conscience ici d'être un petit con d'occidental bénéficiant de l'ALD et osant critiquer mon accès aux soins, mais vraiment parfois rencontrer John Pemberton à la fin du XIXe siècle équivaudrait.)
Aujourd'hui le neurologue était au comble de son absurde rôle (allant de paire avec son exténuation de surcharge professionnelle, j'en ai conscience). Il était ouvertement fou, du genre folie libérée ou exhibitionnisme kafkaïen. Ce qui était quelque part délicieux même si ce rendez-vous m'était un gros morceau.
Il a commencé ainsi :
- Bonjour M. Xavier [sourire ultradilaté, puis sans même me regarder], aaahh vous semblez avoir la forme !
- En quelque sorte, je suis claqué et j'ai un sale mal de crâne présentement...
- Très bien. En plus vous conduisez votre fauteuil parfaitement !
- ... Oui, depuis des années à vrai dire.
- Alors ces résultats !
- Tenez, la fiche est dans ma poche de chemise.
- ... [il cherche entre mes pieds]
- Ma chemise... mon vêtement « chemise »...
- ... [cherche toujours entre mes pieds]
- Hmm... regardez-moi, hop c'est là-haut que ça se passe : la chemise avec une poche sur mon torse.
- Ah mais oui ! Donc. [inspecte le document] Bon.
- ...
- D'accord.
- « D'accord » quoi ?! L'infirmière m'a rapidement dit que c'était plutôt bon.
- Disons que ce n'est pas trop mauvais.
- Ah, ça change d'ambiance.
- C'est parce que vous voyez le TCA, bon... Mais au niveau bicarbonates et mercure ils sont à [---ne me rappelle plus---] donc un peu élevés vu que le maximum est...
- En fait je suis trop fatigué aujourd'hui pour analyser, vous pouvez simplifier ?
- Ah oui. Vous êtes juste au plafond limite.
- Ah.
- Oui, juste-juste à la limite du mauvais. Vous voyez ça c'est le plafond [immobilise levée sa paume de main] et ça c'est vous [plaque fortement son autre paume contre la première]. Donc ça va bien. [garde les mains compressées l'une contre l'autre]
- Dit comme cela...
- Vous êtes au plafond.
- C'est exactement moi... La pneumo dit aussi que je suis à la juste limite des 30 % niveau CV.
- Alors ça concorde ! [exalte]
- Youpi.
- Vous verrez de toute façon tout cela avec elle. Autre chose ?!
- Pas spécialement, je n'arrive juste quasiment plus à déglutir...
- Ah, c'était déjà évoqué la dernière fois je crois.
- Tout à fait, du coup maintenant c'est...
- ... Pire !
- Bingo !
- [il sourit immanquablement] Comment faites-vous ?
- L'action de la gravité sur les aliments et la patience, ça descend forcément à un moment, un jour... Même si j'imagine qu'il s'agit de la gastrostomie à laquelle je devrais penser, mais bon hein.
- C'est parfait la gravité !
- ... Pas tant que ça en fait.
- Bon, on se revoit en pluridisciplinaire bientôt ?
- Pourquoi se revoir alors qu'on se voit déjà là ?
- Bah la dernière pluridisciplinaire c'était... [dossier] y'a plus d'1 an !
- Ah. On va se dire quoi de plus qu'aujourd'hui ?
- Je ne sais pas.
- Justement, j'hésite.
- Au moins on se reverra.
- Ça c'est de la perspective.
- M. Xavier, [il est déjà dans mon dos] je vous raccompagne ! [il gobe je-ne-sais-quoi de petit qu'il attrape sur un plateau à côté de plein d'ustensiles, qu'il s'envoie comme une cacahouète dans la bouche]
Considérer sa consultation du jour comme une performance plutôt qu'une analyse gazométrique. Et attendre la lecture de la pneumologue.
En attendant d'attendre, je considère le plafond.
**
C'est la sentir marcher à côté de moi qui me manquait le plus ce soir en regardant le bureau le lit le bureau le lit le bureau le lit mais pour ne rien comprendre de ces meubles qui ne parviennent pas à meubler le manque.
Ai presque souri. Le type qui officiellement ne marche pas mais aime terriblement sa démarche à elle. Marcher l'un-e à côté de l'autre comme deux poumons, afflux d'air influx sanguin.
À l'arrêt de bus je plisse fort les yeux, « arrête d'y penser » je m'indique sévèrement dans le noir de derrière les paupières. Réalisant que je me suis dit cela ce matin, hier soir, hier midi, les autres jours, et puis lorsque je marche d'un arrêt à un autre arrêt, même lorsque je suis dans le bus, autant que lorsque depuis le trottoir je regarde des bus passer.
En rouvrant les paupières c'est humide.
Je saisis mieux comment fonctionne un bus que ce qui se passe.
(Il ne se passe rien. Et ça se passe en tout.)
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