samedi 24 mai 2014

Ingrédients photographiques nocturnes.


| rentrant du cinéma, "Jonas Mekas / José Luis Guerin - Cinéastes en correspondance"
Guerin : sa voix calme et sensible, avec ses regards indirects délicatement rebondissants, dans des flaques d'eau grouillante/s, dans des branches d'arbres serpentines, dans la parfaite jonction d'un rideau d'hôtel face aux vagues de l'Atlantique portugais ; filmer l'urbanisme d'une ville par toutes ses étoffes
| dehors sur le trottoir en attendant le bus il y a la ville typique du vendredi nuit
la ville imbibée avec sur le trottoir de droite un groupe de personnes ivres, leurs expressions corporelles s'expriment par arcs : arc de la voix criée, arc des ricanements distribués en cercle, arc de leur thorax qui se courbe vers leur bassin pour appuyer les propos, arc de leurs bras cherchant constamment à alpaguer le-la pote d'à côté
la ville frustrée avec sur le trottoir à gauche après les rails de train deux travailleuses du sexe qui dandinent leur cul (presque un mouvement en arc) pour semblerait-il bien plus se réchauffer du crachin froid plutôt que de vendre du déhanchement
| de ma position médiane j'aime cet arrêt de bus mettant en perspective sur seulement plusieurs mètres le bitume du trottoir d'où je suis, le grillage, les quatre rails, les poteaux de signalisations ferroviaires, un autre grillage, un autre bitume, la route derrière avec les phares de voitures ; je cherche une fois de plus comment je pourrais photographier tout cela en enfilade (sans humain saisis, rarement envie)
| dans le bus le type d'à côté essaie de me regarder lorsqu'il pense que je ne peux pas le déceler, sauf qu'en oculaire l'angle technico-mort est un angle sensori-vif, je sens combien il me regarde ; et je me dis : suis constamment regardé de haut, je serai toujours le petit mioche des grand-e-s valides (me visualise Izlé s'accroupissant fréquemment pour me parler, particulièrement touchant pour moi)
| descendant du bus j'arrive dans mon quartier qui est d'un tel silence la nuit qu'en avançant je cherche à entendre les battements de mon coeur, mais se fait bien plus fort la gomme de mes pneus qui embrassent l'asphalte pluvieux, le son de lorsque les gosses exagèrent le bruit d'un baiser
| marchant les dernières rues pour rentrer à ma cabane je retrouve sur un mur une longue fissure horizontale, absolument superbe, une lente pulsation urbaine, elle a quelque chose d'épidermique, et de sensuelle avec l'humidité de la pluie qu'elle garde sur quelques millimètres en bordures ; ça fait 3 mois que je veux la photographier
| de la photographie il y a demain (aujourd'hui) une expo collective où Prof a à tout prix voulu « m'exposer », moi je déserte, mais il imprime cinq de mes photos et agence l'accrochage ; m'envoyant il y a quelques nuits depuis mes silences un mail censé me repêcher avec « très sincèrement, certaines de tes photographies sont les meilleures que j'ai pu voir de la part d'un de mes élèves depuis que je donne ces cours en 2008 et de loin! »
| je n'ai jamais compris pourquoi faut-il dire « sincèrement » dans des propos, tout ne devrait pouvoir être que sincère, je l'utilise très rarement ce mot, seulement lorsque je crains que la personne puisse penser que j'arrange du discours plutôt que de dialoguer ; à vrai dire dialoguer ne devrait se faire qu'avec 

des vagues
des étoffes
de la nuit
des thorax
des bras
des trains
du sensori-vif
des silences
des baisers
des pulsations
des sensualités.


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