mardi 4 février 2014
Ostéopathie machinique.
Je m'assois au lit et commence à transmettre les instructions à l'assistant.
> Installation du cric sous le palonnier de mon fauteuil, le plus près du châssis possible, élévation d'une quinzaine de centimètres. Appuis d'un bout à l'autre du palonnier, voulant vérifier si la fixation centrale présente une mauvaise torsion en interne, à cause d'un son de frottement que j'entends ces derniers temps lorsque je porte quelqu'un-e sur le palonnier ==> me donnant l'impression qu'on me force sur le bassin (du coup j'arrête de porter, ça me manque). Rien de défectueux.
> Par contre le capot arrière est complètement déboîté, une vis a lâché avec les vibrations, des connectiques sont à l'air libre. La gaine d'un câble est dénudée, je la panse de Gaffer. Vérification des connectiques des câbles-bus. Ajout d'une rondelle avec nouvelle vis pour refermer le capot.
> Vérification des fourches des roues arrière, roulements à billes nickel, gomme correcte. Par contre jeu en latéral de la petite roue gauche ==> me donnant l'impression que mon talon vrille ; écrou resserré d'un demi-tour, fonctionnel.
> Même vérification pour les petites roues avant qui elles n'ont plus de gomme (et bousillent le parquet dans ma chambre), et moi qui n'ai pas actuellement le fric pour en commander, mais qui n'ai plus le choix non plus...
> Resserrage d'une vingtaine de vis, moins pire que présumé. Oxydation avancée mais encore tenable (n'ai pas le temps de poncer + antirouille).
> Grosses roues centrales : jeu du moyeu gauche d'environ 3 cm, droit de probablement de plus de 5 cm, le droit me gênant beaucoup depuis une semaine avec désaxe en latéral + son ==> impression luxation hanche. Rouages complexes avec moteurs d'inclus, pas de dévisseries constatées, je ne parviens pas à réduire le jeu. Je dois faire attention à mes mouvements particulièrement à droite [logique d'usure : je suis droitier].
> Vérification de l'état de la corde bricolée de maintien du repose-pieds (pas le fric non plus pour réparer le vérin), l'impression d'1 ou 2 cm manquants ==> ressentis dans les talons et mollets. La corde a peut-être pris un peu de souplesse mais n'est pas cisaillée ni très lâche.
> Accoudoir droit remonté de 5 mm, avec ajout d'une discrète butée de contrefort vissée au rail de fixation ==> tenter de relâcher un peu de tension dans l'épaule de conduite [mais peu convaincu des essais de conduite d'hier soir, pesanteur faisant trop insister mon bras sur le du mini-joy, obligé de compenser en tordant le poignet ; probable redéscente de 5 mm demain].
Une quinzaine d'outils par terre, clés Allen françaises et US, clés à pipe, clés plate, tournevis Torx, tournevis plat, tournevis cruciforme... Des ustensiles presque charnels pour moi, qu'ai appris à utiliser comme d'autres ont appris à faire du vélo.
Je regarde le fauteuil vide. La moitié de mon cerveau accaparée par l'inquiétude financière, les pièces qu'il faut que j'achète, sa durabilité (probablement 2 ans vu mon utilisation intensive), le choix cornélien - dégueulasserie capitaliste - du prochain... L'autre moitié du cerveau constate sa beauté mécanique, comme s'il est possible d'observer une ossature en dehors de sa propre peau. Et sa loyauté d'autonomie, sa puissance autant que sa finesse.
Cet agencement métallique et technologique est la partie externe de mon corps (je ne me sens plus par contre comme à une époque de dire que le fauteuil est mon corps), mes mouvements dans leurs équilibres, dans leurs spontanéités, dans leurs interactions environnementales, y sont fortement liés.
J'ai ce nouvel assistant qui, dans le bus ou à la bibliothèque lorsque nous vaquons chacun à nos occupations mais que sa présence proche est requise, pose son pied sur des parties de mon fauteuil, cale sa jambe pliée sur un de mes axes... comprenant bien que pour lui il s'agit d'une posture de détente et de confiance, j'ai eu assez de mal à oser lui dire - le plus gentiment possible - la semaine dernière que je préférais qu'il ne fasse pas cela, que seul-e-s les personnes intimes de mon entourage peuvent ainsi se reposer « contre moi, parce que je sens où vous posez vos pieds, parce que le fauteuil fait partie de mon corps, et que je ne souhaite pas cette intimité physique entre nous ». Il était gêné, moi un peu aussi, mais j'ai souri en le voyant les minutes suivantes chercher une chaise où appuyer ses pieds, réalisant que ça m'allait très bien de ne pas être sa chaise. (Idem avec les gens dans les transports en commun s'appuyant sur le dossier du fauteuil, une excellente assistante tentant d'expliquer posément dernièrement à un monsieur que ça revient à s'appuyer sur mon épaule anatomique, qu'aucun-e valide debout dans le métro s'appuie ainsi spontanément sur l'épaule d'un-e autre inconnu-e assis-e sur un siège de la rame. Le monsieur très dubitatif - et très valide - a rétorqué « mais je ne touche que son fauteuil ! »)
En fumant une clope je regarde ce grand corps extérieur noir, et survient un trou autrement noir dans le bide. Questionnant : comment peut-elle supporter tout cela. Comment est-il possible que ces 320 kilos entourant mon corps, le soutenant autant que l'armurant, lui soient accueillants. Comment moi absolument immobile & flasque sur cette machine entièrement créée à la mobilité ne peut pas que l'heurter d'inertie.
Je n'arrive plus à regarder le fauteuil, je demande à l'assistant de me transférer dessus. Dessus/dedans je ne le vois plus, je le sens, et j'allume ce qui se vit.
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
Tu as vu comme t'en parles ? Comment veux-tu qu'elle ne soit pas capable de saisir cela, qu'elle ne puisse pas (conce)voir ton fauteuil comme étant mouvement, comme étant ton mouvement (entre autres, vu que tu es aussi plein de mouvements sans ton fauteuil) ? ^^
RépondreSupprimerTu projettes trop l'ami, laisse venir, laisse lui l'opportunité de te surprendre et de te ravir (dans tous les sens du terme je l'espère muhuhuhu)