« On peut dire qu'une rencontre est ce qui se passe soudainement sans savoir ce qui se passe. La rencontre a eu lieu, on n'a pas de temps, on n'a pas de moyens pour former une rencontre, nous nous trouvons sans moyens. La rencontre arrive, arrivera, arrivera soudain, je sais qu'elle sera soudaine, qu'elle ne surviendra que soudainement. Une rencontre est quand on reconnaît qu'il y a là un visage que l'on reconnaît, dans la foule, dans la rue, dans le métro, dans la gare, dans la rue, des carrefours, des spectateurs, les événements ne se rencontrent pas, il existe des événements qui se font clandestinement, qui se poursuivent souterrainement, le soubassement, le dépliement d'évènements, des événements qui rampent dans l'ombre, qui se préparent dans leur cachette, qui s'organisent, qui se tissent souterrainement, puis il y a une rencontre, à un moment imprévu, c'est l'événement rencontré, plusieurs années après, la rencontre est soudaine, impréparée, la rencontre arrive au moment où on ne se rend plus compte de rien, soudainement une rencontre, j'ai rencontré un ami, on ne peut rien faire pour évoquer une rencontre, on ne peut rien pour provoquer une rencontre, on ne peut rien pour la préparer, pour se préparer, une rencontre est ce qui saute soudain, au moment où on ne s'y attend le moins, au moment où l'on flotte, où l'on se concentre, où l'on est concentré à se promener, à penser, recueilli, dont le recueillement. On peut articuler, il y a des articulations possibles, on peut trier les événements, les événements viennent souples, malins, enveloppants, influants, infiltrants, aussi fins et coulants que les gouttelettes de pluie, on est trieur, on va parmi les événements, ceux qui doivent être tirés et ceux qui doivent être laissés mourir progressivement, se perdre dans l'oubli, nous pouvons trier, faire une limite entre ceux qui survivent et ceux qui ne survivent pas, on va filtrer, on va jouer le filtre, on va faire filtre, on va produire un événement, on va procéder à une rencontre, les ondes vont nous rapprocher, vont nous faire tenir debout à quelques pas, assez proches pour que l'on se retrouve, que l'on distingue nos traits, les traits de notre visage, qu'il n'y ait aucun doute sur la personne que l'on voit, que, même si on ne voulait pas la voir, que, même si on ne savait pas qu'on la verrait, nous nous trouvons dans l'obligation d'entrer en contact, nous sommes surpris d'être si proche, nous sommes surpris de la reconnaître, de l'avoir reconnue, de ne plus pouvoir faire machine arrière à ce moment-là, de ne plus pouvoir reculer, on est obligé de la voir, de prendre conscience qu'il y a eu lieu une rencontre, que la rencontre a eu lieu. »
"Anachronisme"
P.O.L., 2001
Elle est là.
(Ce que je me suis dit à la fin de ce paragraphe.)
Et je n'en sais rien. Je ne sais rien mis à part qu'elle est là.
Si ce n'est : elle doit être là depuis longtemps pour être si bien là maintenant alors que je ne sais rien [d'elle].
Que ce serait presque absurde. Si ce n'est : nous savons que l'absurdité se met nettement mieux à nu - de vivre - que les soi-disant lois ordinaires de la raison. On a rarement tort en étant absurde.
Est-ce que j'enclenche toutes les mines de mon terrain (le peureux), où est-ce que je danse autour de chacune avec la joie offerte ?
Ou bien je fais ça : j'enfonce mes mains le long de chacune des mines, précautionneusement j'enfile mes doigts dans la terre, je fais longer les doigts délicatement contre un mine, une par une, je la soulève hors du sol, doucement, je désentraille.
Prendre dedans, poser dehors, pour faire de la place, assurer du sol, donner du terrain aux mouvements. Ça mobilise des sourires.
J'ai trouvé : je vais mettre des bougies en photophores dans le creux de terre des mines, de belles créatrices de chaleur et d'ombres, et alors qui
voudra
viendra.
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