Mardi j'ai appris la mort de quelqu'un qui a compté à une époque de ma vie.
« Mort », un petit mot pour un très court instant, et pourtant un impressionnant déploiement d'émotions et de réflexions qui surgissent au fil des heures et des jours à partir de ce mot prononcé.
Hier je me suis rappelé : à l'annonce de cette mort je vivais ma journée, c'était la matinée et j'étais en train de remonter l'ordinateur que j'avais entièrement démonté pour réparation (comme il peut être facile de réparer des machines plutôt que des organes), ceci avant de projeter foncer vers une grande plage du nord de Ré, puis « mort », et c'est comme si la vie s'arrête pour une autre fulgurance de vie, celle du rappel qu'être vivant c'est aussi mourir, la première des logiques.
Apprendre la mort de quelqu'un-e c'est autant apprendre d'être en train de vivre, comme une soudaine réactivation de la « fonction vivante ».
Depuis mon adolescence, plusieurs d'ami-e-s & amant-e-s autour de moi sont mort-e-s, la plupart handi-e-s. C'était plutôt insupportable durant cette époque, probablement parce que je n'étais pas encore parvenu moi-même à accueillir ma vie ; la mort des autres se logeait dans ma non-vie.
Puis il semblerait que ma vie soit devenue cette supernova. Ma « biographie pathologique » annonce toujours une mortalité précoce, mais je pense avoir créé des espaces-temps où je parviens à vivre discrètement des milliards d'années. Il ne s'agit pas maintenant de la vie qui primerait sur la mort, ce serait un non-sens (pour moi). Non, il s'agit du fait que la vie et la mort s'échangent des données fondamentales, comme un entrecroisement du nadir et du zénith.
Alors maintenant ma première réaction à l'annonce du décès de quelqu'un-e est : d'accord. De cette façon habituelle que j'ai à considérer premièrement la technicité des faits, le fonctionnement des choses, même des choses-humaines.
Et pourtant, il s'étend alors un vaste silence en moi, qui me rend immobile, inaccessible, je ne peux alors être que dans ce silence total. J'ai retrouvé ce grand silence avant-hier en commençant ma journée ici :
à marée basse. Dite de « morte-eau » lorsque le marnage est à son minimum. [Aussi l'ouvrage "L'Eau et les Rêves" de Gaston Bachelard que je lis doucement ces derniers temps est une formidable encyclopédie de l'eau.]
Je m'y sentais calme, et j'ai réalisé alors la première douleur que je peux expliquer chez moi d'un état de deuil :
* non pas que la personne soit morte, je peux ressentir le manque - suivant évidemment la proximité relationnelle - mais ce manque provoqué par sa mort n'est dû qu'à l'existence de sa vie, il y a toujours un remerciement ici
* il s'agit du choc entre le besoin de silence de l'au revoir à une vie estimable et le manque d'espace-temps à ce deuil dans un monde mod(t)erne qui grouille de vies dont la plupart me semblent s'ignorer (peut-être pour justement fuir les moindres deuils).
La mort d'un-e proche serait une double mécanique d'arrêt : pour la personne qui meurt l'arrêt est cet instant bref, le dernier souffle (la dernière bougie ?), activant par la même pour l'ami-e qui vit comme un arrêt sur image de la vie.
Des vies : depuis cinq jours mon esprit revoit beaucoup de petits moments d'avec l'ami (((principalement : un fou rire ensemble chez lui))), autant qu'il regarde avec une acuité nouvelle ma propre vie. Et les larmes viennent peut-être pour moi lorsque sur les deux écrans des films de vies je fais le lien avec des joies et des tristesses à vrai dire... cruciales ? Je veux dire par là : d'accord, ce truc qu'on appelle « vie », c'est quand même un sacré gros morceau à porter, avec des densités extrêmes, et les larmes sont probablement des eaux que l'on veut garder stagnantes pour ne pas s'y mouiller, trop accaparé à vivre sec. Et puis la mort de quelqu'un-e vient perturber ces eaux profondes stagnantes, du genre une petite goutte dans la flaque qui se met à onduler, « n'oublie pas de continuer à vivre ».
Morte-eau, vive-eau.
François démontre une fois de plus que tout est marée, que tout est mouvement. Rien ne part sans venir et revenir, sous de multiples formes. Rien ne meurt fondamentalement, tout vit minutieusement.
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