samedi 24 juillet 2010

gribouillage depuis de microscopiques sillons

Terminé la lecture de l'ouvrage collectif « Imagination, imaginaire, imaginal » (ed. PUF) coordonné par Cynthia Fleury à ce moment de ma vie où il se dessine en moi une grande idée concernant le temps et l'espace.
« Grande » idée : pas grandiose mais ample dans sa façon d'occuper mes pensées, de s'étendre dans mon rapport au monde.

Le problème pour rédiger cette idée est justement qu'elle se dessine en moi, c'est-à-dire qu'elle se constitue nettement plus forme/s que mots, elle ondule bien plus qu'elle se structure clairement. Comme bien souvent.

Il s'agirait de parler d'ailleurs plutôt des temps et des espaces.

Le commencement a été depuis longtemps à considérer et à réfléchir intensément le temps & l'espace, cette structure spatio-temporelle avec laquelle je parviens difficilement à faire corps, dans laquelle je n'arrive pas à inscrire d/mes réalités, des réflexes, des positions. Je sais qu'il y a agencement du monde avec des horloges et des géolocalisations, mais j'ai bien souvent l'impression d'être liquide à côté de cette structuration.
Il n'empêche que je suis régi par la structure spatio-temporelle, je fonctionne dans ce monde et je n'échappe pas aux contingences et bien souvent à l'angoisse du tic-tac et des kilomètres. Il y a quelques jours lorsque j'étais chez la grand-mère de Nektor, je regardais absorbé la grande horloge générationnelle qui s'impose dans la cuisine, je l'observais en lui demandant : « et si tu fonctionnais en arrêtant d'indiquer le temps, si tu continuais ce merveilleux balancement du pendule tout en ne rendant pour autant plus compte de la moindre notion du temps ? »

Le temps et l'espace... À force de vivre à la recherche des interstices et des interlignes, dernièrement j'ai entrevu qu'il y a en fait des temps et des espaces. Et ce que je saurais malheureusement très mal expliquer par écrit : je ressens qu'il y a des sortes d'entre-les-temps et d'entre-les-espaces.
Le monde qui nous est donné à voir dispose en réalité (...) de très nombreuses échappées, pas au sens de fuir ou de fuguer, mais dans l'idée d'escapades, d'envolées. Il y a des temps et des espaces qui peuvent s'ouvrir comme des secrets, qui sont invisibles à qui ne parcourt pas les questions et réponses d'un monochrome.

Il ne s'agit pas pour autant d'autres espaces et d'autres temps. Pas d'à côtés ou d'ailleurs, ni quoi que ce soit d'évanescent ; non tout est déjà ici et maintenant. Je dirais qu'ils se situent juste entre ce qui est immédiatement perceptible. Un peu à la façon de ce qu'il pourrait y avoir entre la gauche et la droite.

J'ai réfléchi notamment à partir de l'apnée et à partir de la musique (aussi des questionnements à partir de l'orgasme sexuel par rapport à son ailleurs paroxystique, mais je reste partagé entre plusieurs points de vue, n'ayant notamment jamais considéré l'orgasme comme une recherche absolue).
Comment et où se situe cet état très profond d'un corps qui est pleinement conscient et sans oxygène vital ? Qu'y a-t-il pendant quelques dixièmes de seconde entre les notes d'une mélodie ?

Je perçois désormais de plus en plus comme des temps et des espaces infimes - sillons microscopiques - qui constitueraient des zones en suspend, des surfaces d'existence où il est possible d'être ni gigantesque, ni minuscule, ni ici, ni ailleurs. Mais juste d'être, d'une totalité presque transparente.

Mon explication reste très abstraite, pour autant je ne la vis pas confuse. Les mots manquent, toujours... et c'est peut-être mieux ainsi.

*

... Et je dois filer parce que
{temporalité} je suis en retard
{localisation} pour aller au cinéma !



« L'imagination créatrice anticipe, dans ses métahistoires et hyperespaces, tout ce qui peut arriver de singulier et de local dans le monde sensible. En ce sens, le monde sensible n'est une ultime détermination de ce qui peut être actualisé, sur un plan supérieur, dans le monde imaginal. L'imagination créatrice de visions ne génère pas un autre monde mais constitue plutôt une sorte de pré-vision du nôtre. »

« La créativité imaginative, le paradigme autopoïétique »
par Jean-Jacques Wunenburger
p.175

4 commentaires:

  1. Salut,

    Je viens de lire ton dernier article, j'ai senti un je-ne-sais-quoi de presque serein, en le lisant : est-ce que ça venait de moi, est-ce que ça venait de toi (question subsidiaire : qui est moi ? qui est toi ?), je sais pas... Pas désagréable en tout cas.

    Je n'ai presque pas lu Bergson mais tu sais qu'il est réputé pour avoir beaucoup réfléchi sur le temps (et ce qu'il appelait la durée), peut etre une piste à suivre pour ta quête personnelle ?

    Qu'est ce qu'il y a entre deux notes ? J'ai déjà entendu ça quelque part, jolie question. Je dirai qu'une note appelle souvent sa "suivante", un peu comme la page d'un livre qu'on tourne pour savoir ce qu'il se passe ensuite. En théorie musicale on parle d'ailleurs de "note de passage" dans certains cas.
    Question subsidiaire bis : est-ce qu'on peut décomposer vraiment une musique en les notes qui la compose (un film en les images dont il est fait) ? On pourrait aussi parler des morceaux qui étale une/des note/s sur de très longues durées, où il n'y a plus de mélodie clairement identifiable mais plutôt un continuum de sons qui génère son ambiance / ses couleurs --> expl le Ligeti (Atmosphères) que je t'ai envoyé la semaine dernière, certains de Brian Eno aussi.

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  2. Bonsoir ToutPetitGramme. :)
    Fort ému de te lire ici...
    Qui est toi ? Un dealer de nuages. Qui est moi ? Un dealer d'étoiles. Tu l'as dit : tu t'occupes du jour, je m'occupe de la nuit.

    Bergson, oui maintes fois entendu référencé concernant en effet la durée... Merci pour le rappel. Je ne l'ai pas encore parcouru. Écoute, ce que je te propose : pour mon anniversaire tu m'offres un pack d'une dizaine d'années supplémentaires à ma vie, et je m'occupe de Bergson. ;)

    Jolie réponse à la question de ce qu'il y aurait entre deux notes. « Passage » me capte particulièrement : path... interstice... C'est exactement ce que je pense-ressens : il y a de véritables passages entre les dimensions basiques.
    Regarde, c'est comme ton exemple de tourner une page, certes tu tournes la page pour atteindre la suite de l'histoire, pour autant il se passe quelque chose en toi dans ce flottement entre les deux pages, tu es suspendu entre ce que tu as lu et ce que tu souhaites lire, quelque chose se forme déjà en toi, t'emmène déjà quelque part. Moi j'ai l'impression d'être à ce moment-là dans le livre mais aussi déjà plus loin.

    Il y a beaucoup de sens pour moi à ce que le morceau que tu m'as fait découvrir de Ligeti s'appelle « Atmosphères » ==> les sons ne semblent plus ici s'accrocher à la structure spatio-temporelle, ils s'« atmosphérisent » littéralement, nuageux.

    Merci de m'en apprendre toujours plus sur (dans) la musique.


    cx

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  3. Un seul Temps qui se décline en plusieurs temps. Plusieurs plans physiques, autonomes bien qu'intriqués et probablement interdépendants.

    Notre système sensitif qu'englobe notre corporéité l'englobe à son tour. Voilà déjà 2 plans physiques, interdépendants, coordonnés par le Temps, l'Imperceptible, qui évoluent sur des temps perceptibles différents.

    Modèle de base pour comprendre d'autres englobements... du 3ème genre de connaissance (CF: L'éthique; Spinoza).

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  4. Heureux de te voir naviguer par ici Life-boat.

    Souvent je rêve que tu me lises Spinoza.
    Mais là tu me redonnes envie de tenter encore, doucement, lentement.

    À force d'englobements et de voyages dans les différents plans, il est évident que ce qui apparaît plus clairement que jamais c'est un monde. Le Monde. Qui n'est pas une boulette fermée, mais une sphère vaste d'innombrables flux, qui s'équilibrent et qui se transmettent avec une véritable générosité.
    Exactement le lien entre les perceptibles et l'imperceptible.

    J'aurais bien aimé découvrir ça à 15 ans pour... gagner du temps. :)


    cx
    l'éternel idiot

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