Cours de Deleuze du 17/3/81 à Vincennes.
« Personne ne peut nier que savoir nager c’est une conquête d’existence, c’est fondamental, vous comprenez moi je conquiers un élément, ça ne va pas de soi, conquérir un élément. C’est nager, c’est voler, voilà tout ça c’est formidable.
Bon qu’est-ce que ça veut dire ? Ben c’est tout simple, pas savoir nager c’est quoi ? C’est vraiment être à la merci de la rencontre avec une vague. Alors vous avez l’ensemble infini des molécules d’eau qui composent la vague, ça compose une vague et je dis c’est une vague parce que, ces corps les plus simples que j’appelle molécules - en fait c’est pas les plus simples - il faudrait aller encore plus loin que les molécules d’eau. Les molécules d’eau elles appartiennent déjà à un corps, le corps aquatique, le corps de l’océan, le corps etc, ou le corps de l’étang, de tel étang.
Bien alors c’est quoi la connaissance du premier genre ? Eh bien allez, j’y vais, je me lance, je suis dans le premier genre de connaissance. Je me lance, je barbote, comme on dit. Qu’est-ce que ça veut dire barboter ? Barboter c’est tout simple, ça indique bien, on voit bien que c’est des rapports extrinsèques. Tantôt la vague me gifle, et tantôt elle m’emporte. Ça c’est des effets de choc. C’est des effets de choc, à savoir, je ne connais rien aux rapports qui se composent ou qui se décomposent, je reçois les effets de parties extrinsèques. Les parties qui m’appartiennent à moi, sont secouées, recoivent un effet de choc des parties qui appartiennent à la vague. Et alors tantôt je rigole et tantôt je pleurniche, suivant que la vague me fait rire ou m’assomme, je suis dans les affects-passion. [...]
Alors, au contraire je sais nager, ça veut pas dire forcément que j’ai une connaissance mathématique ou physique, scientifique du mouvement de la vague, ça veut dire que j’ai un savoir faire. Un savoir faire étonnant, c’est-à-dire qui a une espèce de sens du rythme. La rythmicité.
Qu’est-ce que ça veut dire le rythme ? Ca veut dire que mes rapports caractéristiques je sais les composer directement avec les rapports de la vague. Ça se passe plus entre la vague et moi, c’est-à-dire ça se passe plus entre les parties extensives, les parties mouillées de la vague, et les parties de mon corps, ça se passe entre les rapports. Les rapports qui composent la vague, bon, les rapports qui composent mon corps, et mon habileté, lorsque je sais nager, à présenter mon corps sous des rapports qui se composent directement avec les rapports de la vague. Alors c’est : je plonge au bon moment, je ressors au bon moment, j’évite la vague qui approche ou au contraire je m’en sers, etc. Tout cet art de la composition des rapports. »
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