mardi 6 avril 2010

« Les moments privilégiés », Francis Lesourd


-->Travaillé ceci aujourd'hui à la bibliothèque (<== silence / moquette rouge / lumière montagneuse).
Beaucoup d'écho/s. Résonance avec ma latitude-longitude actuelle. Et d'autres pensées au-delà de mon horizon.

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Au plan théorique, ce que j’appelle les moments privilégiés constitue un objet transdisciplinaire dont l'intelligibilité peut bénéficier du croisement de différentes notions : épiphanie, liminarité, autopoïèse, etc.

Le premier terme, celui d'épiphanie qui, étymologiquement, signifie « révélation » est redéfini par Norman Denzin comme « moment d’expérience problématique qui illumine le caractère personnel, et souvent signifie un tournant de la vie d’une personne ». De tels moments peuvent s'avérer contemporains d'un événement particulier, spectaculaire ou anodin ou, au contraire, lui donner sens après-coup. [...]

La notion de moment privilégié, outre les caractères de tournant et de révélation qu'elle emprunte à l'épiphanie, possède une forte composante liminaire ; elle renvoie à une transition entre deux façons de se donner sens au long cours. Cette liminarité, déjà évoquée par Denzin, est soulignée par Jeanne-Marie Gingras. En référence à sa pratique des histoires de vie, celle-ci insiste sur ses dimensions chaotiques en décrivant le « magma de sensations de souvenirs, de sentiments, de documents » rassemblés dans la phase préalable à l’élaboration biographique. Pour l’auteur, il faut « résister à la tentation de sortir trop vite de ce chaos (...) Fuir le chaos à cause du désagrément que je ressens à rester dedans n’est pas la solution la plus heureuse... et ce n’est surtout pas créer. Si je veux aller de l’informe vers la forme qui se définit peu à peu, qui s’articule au fur et à mesure que j’avance, il m’est nécessaire de supporter le chaos jusqu’à ce qu’une inégalisation se produise (...) jusqu’à ce qu’une idée me vienne, comme un déclic, une étincelle, un « flash » se produisant, tout à coup, et me touchant affectivement. »

Révélation d'un sens densifié au cœur d'un vécu chaotique, le moment privilégié apparaît encore comme une (re)création, comme une autopoïèse : engendrement et spécification de sa propre organisation. Gaston Pineau témoigne d’un tel processus à travers la veille dans la nuit, « expérience unique d'autoformation. La nuit contracte l'espace, dilue les formes, mélange l'intérieur et l'extérieur, l'objectif et le subjectif, le réel et l'imaginaire. Elle bouleverse les repères du moi visuel. C'est une écoute tendue de silences et de bruits invisibles qui ne se laissent pas clairement repérer mais qui créent des formes inédites de coexistence entre soi et le monde. Ces formes sont traversées et constituées par des va-et-vient accélérés et incontrôlés entre intériorisation et extériorisation qui dissolvent les objets, les sujets (…) Autoformation de formes par mixages inextricables de pulsions et d'impulsions externes et internes. »

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