dimanche 11 mai 2014

Heures.



"Entrepliegues" - Lúa Ocaña






Elle avait dit que ça faisait depuis longtemps qu'elle ne s'était pas endormie le coeur chaud.

Thermodynamiques.
Je m'endors et me réveille désormais froid, un invariable froid. Lorsqu'elle a décidé de partir il s'est déclenché une fièvre ample, comme si le coeur tentait de lutter contre le refroidissement, en incendiaire. De sa tentative il a emporté d'à côté les poumons, qui se sont mis en feu, brûlants. Je ne pleure pas en oculaire mais en pulmonaire, ça suinte.

Elle a raison, ça faisait depuis longtemps que le coeur ne s'était endormi chaud. Ça faisait très rarement qu'il n'avait pas ainsi été chaud. (Et rieur, elle ne peut réaliser comme l'entendre rire me colorait.)
Pour devoir redevenir froid, bien plus froid qu'avant elle qui a sculpté des petits brasiers en moi. Comme personne. Ce qu'elle souhaite que j'éteigne. Plus personne. 
Je feins le tempéré, des sourires climatisés pour les autres. Incapable de la moindre émotion musicale, assourdi. J'entends son prénom partout et nulle part. J'aperçois sa silhouette en des transparences. Je me creuse de questions, j'effrite des blessures, je ronge l'âme du bâtard que je suis.


 ..


La Violoniste m'appelle dimanche dernier, je suis tabassé de fièvre mais décroche d'étonnement, ça fait plus d'un an que nous n'avons pas dialogué (après qu'elle m'ait planté d'un énième rendez-vous parisien). Elle me dit que je lui manque, qu'elle est désolée d'autant être absente... Je la coupe, je ne peux plus entendre cela ; elle le sait, s'emmêle d'une nouvelle piètre excuse à laquelle elle ne croit plus non plus. Je questionne sa vie qu'elle me raconte, j'essaie d'écouter comme je peux mais ça s'enlise en moi. Elle interroge la mienne, je balbutie des bulles de volcan froid à propos du travail, d'un autre projet professionnel, puis un autre. Elle semble attendre, dit que ma voix est terne. Je lui parle d'Izlé. De la lave suave dans mes paroles, puis peu à peu dans ma gorge, jusqu'à mes yeux ; condensation humidification. Elle reste silencieuse, puis ponctue quelque chose comme « tu l'aimes vraiment... », je lui dis oui, mais - à voix basse - que c'est apparemment trop tard, la gorge étroite comme coincée dans une abîme. Alors soudainement la Violoniste se barre, ce qu'elle a toujours fait, elle bredouille qu'elle vient de réaliser qu'elle n'a pas pas le temps de me parler, qu'elle doit impérativement « y » aller, elle dit au revoir, je dis d'accord, elle dit désolé, puis raccroche.
Je reste figé au radeau, j'ai une larme qui se défenestre.

Nous n'avons jamais pu nous parler après la rupture.
Car nous n'avons presque jamais pu nous parler durant la relation, politique partagé mais poétiques divergentes. À l'époque je pensais que le politique pouvait donner lieu à de la poétique, mais non. La poétique ne peut pas donner [des] lieu[x] si elle n'a pas déjà lieu, si elle ne s'enquiert pas d'alchimie/s. la Violoniste recherche généralement des « y », moi des « en ».




...


Le kiné d'urgence :
- C'est dingue, vous connaissez toutes les techniques professionnelles, vous apprenez à vos assistants les gestes qu'on m'a enseigné à l'école... Quand les avez-vous acquis ?
- Gamin. Dans le souci rapide d'être autonome.
- Vous vous gérez comme cela en autonomie, tout seul, depuis combien de temps ?
- Une douzaine d'années.
- Fffff. Vous devez être...
- Épuisé.
- Oui. [Moi des connes de larmes aux yeux, lui étonnamment ému aussi.] Vous savez là vous êtes quand même bien encombré et infecté au niveau pulmonaire, vous luttez depuis plusieurs jours pour ne pas étouffer toutes les 40 minutes, c'est déjà fou que vous y parvenez seul... et vous gérez tout absolument seul depuis toujours... vous avez de quoi être épuisé. Alors là si vous n'en pouvez plus vous pouvez vous faire hospitaliser.
- ...
- Je sais. Mais...
- Je serai autant seul à l'hosto. Avec le même corps, juste lui et moi.
- On pourra vous aider. Même si... oui, à vrai dire vous savez parfaitement vous aider. Écoutez, moi je ne vous sers à rien techniquement là, mais appelez-moi si c'est trop dur, s'il y a trop de questions en vous, ne gérez pas seul actuellement, on en parlera ensemble.
- J'ai appris seul... Je ne sais pas faire autrement. [N'arrive qu'à lui sourire tristement.]
- [Idem.] D'accord, j'ai compris. Je suis impressionné, en tout cas. Vous avez mon numéro...



*



La kyrielle du foutage de gueule des inaccessibilités en France reprend avec ma tentative d'inscriptions pour la rentrée :
- les cours d'espagnol à tarifs avantageux du Centre Culturel Franco-Espagnol qui ne sont pas access car « ont lieu dans une ancienne école »
- ai enfin trouvé une prof de natation disposée à travailler sur des micro-mouvements
(je cherche depuis plusieurs années un-e tel-le prof), sauf que « la piscine où j'enseigne n'est pas accessible » aux handi-e-s, m'indique que ce sera peut-être le cas en 2015
- recherche d'un-e psychanalyste, je précise à chaque fois les modalités nécessaires avec mon fauteuil, bon nombre me répondent « oui c'est accessible, il y a seulement 3 marches pour arriver jusqu'au cabinet », même eu le droit à « il y a juste un petit escalier »
- un dojo de pratique zen qui est access, mais l'honorable responsable ne préfère pas que je vienne au cours collectif car mon fauteuil va prendre « trop de place », signifiant « moins de place pour les valides ».

Suis déjà en train de perdre de façon aiguë la motivation, sachant que ces saynètes pourraient se multiplier par dizaines (en arrivant dans cette ville j'avais écumé une petite centaine de refus de toute sorte pour cause d'inaccessibilités). 
De cette impression exténuée qu'il y a deux mondes, l'Éminent et le subalterne. La rentrée sera évidemment au subalterne, questionnant juste comment continuer d'avoir les énergies de dénoncer l'hypocrisie du discours de mixité sociale & Co de l'Éminent.
[À ce propos, de ces énergies remarquables il y a entre autres :
http://www.cases-rebelles.org. Puis côté juridique :
http://us4.campaign-archive1.com/?u=97d67832bc37bde6812184cfd&id=7250161e6f&e=5f6e26c5f1.]


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