Edit : merci pour le très chouette
commentaire « anonyme ».
Je reçois le courrier d' « admission de prise en charge » du centre anti-douleur du CHU. La dénomination emphatique est exactement : « centre fédératif douleur, soins de support, éthique clinique », ça claque du côté Atlantique.
J'ai deux réactions, deux mouvements émotionnels en fixant hébété la lettre.
L'espace s'agrandit autour de moi. Ce courrier comme un pass VIP [P : Patraque, Pâlot, Pâtissant, etc.], une carte d'entrée dans le club de l'antalgie, il faut des mois voire des années pour y accéder, pour traverser la liste d'attente et la bureaucratie clinicienne. C'est un des rares domaines où je supporte la terminologie de « prendre en charge », volontiers pour leur décharger la douleur.
L'espace se rétrécit vers moi. Réalisant accéder à la zone des zombies, celleux qui se bouffent de la douleur de mort-vivants depuis quelques siècles, qu'on va tenter une ultime fois de shooter le quotidien avant le palliatif. J'exagère forcément, mais en avoir conscience n'atténue pas la boule dans la gorge dont j'hésite à avaler le courrier pour jouer au billard dans ma trachée anxieuse.
Ce courrier grésille donc.
Ou plutôt c'est moi qui grésille. De cette période où j'approche le rendez-vous de pneumologie que je repousse depuis... 2 ans. Là où il m'est sommé d'y aller tous les 6 mois, d'où je pourrais dealer disons d'y aller tous les ans. L'odieuse marâtre de pneumologue - vers qui suis dirigé obligatoirement suivant leur sectorisation pathologique - rencontrée il y a 2 ans, m'infantilisant ricanante, annihilant tout dialogue et informant abolir la présence de mes ADV en cas d'hospitalisations (« on sait s'occuper des gens comme vous » = attendre des demi-heures pour aller pisser, etc.), m'avait refroidi vers l'ère glacière.
Il y a cette Cerbère, mais il y a surtout les résultats qu'elle annonce.
Ce sont des chiffres, juste des chiffres...
Ça ne parlera jamais de l'élasticité moelleuse de mes tissus pulmonaires, de la danse aérienne de mes échanges gazeux, de la douceur chaude de mes grands pectoraux, de la musicalité de mes bronchioles, de la témérité de mes scalènes douloureux.
Non, ce que tout le monde attend c'est la CV. Capacité Vitale, le volume respiratoire. La place que mes poumons laissent pour respirer. En 2005 j'étais à 47 % [signifiant : d'un adulte « normal »], c'était joli 47 % alors que je tremblais bêtement d'être en dessous des 50. Courant 2009 il était question de 33 %, j'adore le chiffre 33 alors je m'en accommodais, bien qu'il m'avait été indiqué que descendre en dessous des 30 serait une autre histoire.
Chez Winnie ce week-end en étant assis par-terre dans sa chambre solarium j'essaie d'observer les chiffres qui jacassent dans ma tête ces temps-ci. C'est comme une générale, je suis mon public de choix avant la représentation au CHU : « ok prépare-toi à entendre par exemple... 24 %... voilà, 24... wow, non non non, ce n'est pas possible [je regarde mon thorax]... bon, et pourquoi ne pas tenter autre chose que la logique régressive ? Tiens, si je me préparais plutôt à "toujours 33 %", et pourquoi pas à soudainement 39 % ?! C'est vrai ça, je suis en train d'infliger une angoisse négative à ce corps alors que je n'ai qu'à figurer 57 % ! Illusoire, mais soutenant. Hmm. »
Il s'agit de plein d'invocations d'une magie qui se cherche entre un cri sourd et des mathématiques galopantes. Entre la solitude adossée au mur de cette chambre et la solitude du box des EFR du département pneumologie d'ici peu. Entre ne pas vouloir perdre et savoir ne pas gagner. Entre l'invention de la réalité et la fabrication puissante de mon existence. Entre comprendre et ignorer.
Il s'agit de mon blocage lâche de la trachéotomie, de ma grande gueule pairémulatrice pour les autres et du forfait qu'il semble que je déclare pour moi-même. Et je m'en déteste.
Il s'agit des ami-e-s que j'aime profondément, qui m'insufflent au creux de chaque alvéole leur amour inconditionnel, dont je-ne-sais-quoi faire à mesure du rétrécissement de celles-ci. De ma prévisible ingratitude à ne pas vouloir être aidé, la fierté orgueilleuse d'un cow-boy de déserts.
Il s'agit d'Izlé qui bouscule tous mes horizons moléculaires, avec une délicatesse de pur oxygène. Il y a quelques semaines en rentrant du studio de l'Ermitage, remontant une rue du 20ème sous une pluie battante d'où je m'inquiète forcément de mes poumons ne devant pas s'enrhumer, je m'arrête net ressentant en moi Izlé et m'écriant à Jo ruisselante à quelques pas : « hey tu sais quoi, je vais vivre, JE VAIS PUTAIN DE VIVRE ! », Jo sourit alors aussi large qu'une éclaircie. Pour autant ne pas savoir quoi / pourquoi / comment dire à Izlé, se sentir un tank voulant lui approcher des infos balistiques sur la pointe des pieds. Avec l'impression d'être un cadeau empoisonné.
Sauf que l'énergie de vie est une arithmétique que je sais manier à merveille malgré mes fébrilités physiologiques. Il y a une force qui n'a pas d'organes, qui se loge dans un interstice passionnément é~mouvant.
Ce week-end chez Winnie il y a un moment prodigieux où je me sens physiquement bien, fort, plein. Notamment mes poumons sont vastes et tranquilles, d'une certitude que je ne leur ai pas connue depuis très+très longtemps. Il reste d'innombrables ressources (et je m'amuse du paradoxal à considérer des « innombrables qui restent »). Je liste les convergences pouvant contribuer au bien-être imprévu : chez Winnie je dors rassuré, je mange volontiers, l'air est cultivé et les rires sont horlogers (que nous partageons en délice avec Pob), elle est un joyau d'humanité parfaitement sensée & insensée, puis durant ces quelques jours Izlé rayonne continuellement dans mon poul vibrant.
Inspirer. Expirer.
(Et reprendre le Feldenkrais, avec inscription aujourd'hui.)
feldenkrais c'est bien ! j devrais refaire.
RépondreSupprimermoi j oscille entre 10 et 15% de CV et ça inquiète pas trop mes pneumo
j'ai pas de trachéo et selon eux c'est pas encore indiqué dans mon cas
d'ailleurs je préfère parler en mL qu'en %, et je suis entre 370 et 430mL de CV.
bon courage ;-)
« Anonyme » (dommage !) (même si je présume qu'on doit se connaître),
RépondreSupprimervous remercier grandement pour ce commentaire informationnel qui me fait beaucoup de bien... Non pas la joie de vous savoir à 12,5 % de CV, si ce n'est toutefois mon respect pour vos poumons plus modestes que des canettes de Coca-Cola :) , mais pour la gentillesse rassurante et concrète que vous y diffusez.
D'autant plus merci pour le « bon courage ». Vous venez tout simplement de transmettre des tonnes de millilitres de force. Merci vraiment.
Fraternellement,
cx
PS : pour le Feldenkrais j'en ai fait quasiment un an, je ne peux que vous le conseillez, c'est excellent, fondamental en de nombreux aspects, et durable. Si jamais vous cherchez des informations précises à ce sujet, vous pouvez me contacter en privé.