...j'écrirai jusqu'à ce que je ne sache plus écrire...
(jusqu'à ::: n'existe pas)
Je n'aime pas les bus du dimanche, les temps d'attente spécialement longs à la cabine semblent corrompus à faire comprendre : c'est dimanche, tu es seul dans cette cabine, tu n'as pas de famille avec qui être, ni de personne moelleuse à caler dans tes bras, tu vas attendre en bas de tous ces appartements chauffés humainement. Tu es trop petit pour un dimanche, tu vas attendre un bus, tu passes ta vie dans des bus mais dimanche c'est pour que tu saisisses que tu ne remplis pas vraiment la vie*.
Évidemment on n'est jamais seul-e à être seul-e, entrer dans les bus du dimanche c'est comme ouvrir une boîte de sardines en se demandant quelle était la vie de chacune des sardines (du coup ai arrêté de manger de la biographie depuis longtemps). J'aimerais rester un dimanche entier dans un bus et m'entretenir avec chaque passagèr-e, récolter les histoires solitaires qui ne sont que planétaires, photographier chaque coup de frein du chauffeur-euse qui ballote ces corpsolo du dimanche.
Pourtant je ne suis pas un gars seul, j'ai une petite myriade d'ami-e-s (semblant contribuer au dictionnaire du synonyme « merveilleux »), mais rarement le dimanche. Le dimanche j'ai la cabine de bus et son bus.
Hier aller travailler dans un café vers la gare {la gare, les gares, la tentation, les envies, l'histoire, les récits, le déjà, les bientôt}, à l'autre bout de la ville pour parcourir le dimanche de bout en bout. + Workaholism.
Bus : 20 minutes d'attente.
Une éternité urbaine. Qui s'est effritée volatile, atmosphérique. Pour une rare fois.
En pensant à elle. Ça ne s'appelle même pas penser, peut-être sentir. Je ne sais pas ce que c'est, incapable d'y cadrer le moindre mot, la sémantique déborde. Ça déborde en tous sens, ça modifie le sens, ça ballotte les insensés, comme les coups de f[]rein du chauffeur-euse pour les corps isolés du dimanche.
20 minutes où je la dessine avec des branches d'arbres, des nuages fugaces, des gouttes de pluie dorées en gris, où j'entends son rire mieux que le pot d'échappement d'une atroce mobylette, où je perçois ses yeux qui longent mes idées, où ses mains allument des frissons d'été en hiver, où...
... Je sens l'assistante sur le banc de la cabine qui me regarde timidement interloquée : je suis en train de sourire, je ne sais pas depuis combien de temps (plusieurs années, statistiquement), mais je perçois mon visage de con souriant à la face d'un dimanche après-midi dans une cabine du bus C3. Je tente de me reprendre, mais j'éclaterais bien de rire tant c'est déraisonnable, volontiers déraisonnable, qu'il était temps d'être déraisonné, d'assumer être irréfléchi, et que le bus arrive sans avoir ressenti l'attente.
Dans le bus j'essaie de me remémorer "Le Rire" de Bergson, tout en cherchant des sourires sur les autres passagèr-e-s (il y en a peu, passagèr-e-s autant que sourires). Je me rappelle de bribes sur mon chapitre préféré concernant le comique des mouvements, sur comment la chute me fascine, sur comment Benoît Virole l'attribue à la passion autistique pour les morphodynamiques (oui), les belles bifurcations & les beaux accidents.
Un bel accident.
Je vous souhaite un bel accident.
J'écris ce matin en me réveillant à Mizton : « peut-être que la vie peut faire un cadeau ? » ==> "peut" x2.
D'un dialogue avec la vie, je lui cours après, je ne la lâche pas et je lui dis dans sa nuque « fais moi confiance la vie, juste une fois fais moi confiance autrement qu'en évanescences, j'ai valu toutes les peines, tu peux désormais rendre un peu de dignité, juste un fragment de ce qui vaut vraiment de t'emplir* ».
*
Le dentiste du CHU après un enchaînement de rendez-vous inefficaces avoue qu'ils/elles n'auraient probablement pas dû effectuer en mi-septembre l'extraction de la dent de sagesse, que ça a déclenché dans mon corps toute une chaîne de douleurs neuropathiques qu'ils/elles ne savent plus maîtriser. Il parle de me diriger vers une consult' antidouleur, il évoque moyennement à l'aise que vu que ces dernières années je suis déjà en prod de palier 2 et que comme « ça ne couvre plus » il va falloir passer aux opiacés...
Je souris. En partie de rage, de son aveu que j'avais pourtant avec insistance questionné avant la décision d'intervention, sans être considéré (j'aurai toujours 8 ans). Mais surtout d'un sentiment presque étrangement paisible : je connais mon corps tellement mieux que sa théorie aussi diplômée soit-elle d'une blouse (je remarque toutefois ses chaussures : belles, feutrées et distinguées), je peux tellement dialoguer avec mon corps, je suis tellement moins distant de tout ce qu'il essaie de comprendre, que je sais qu'il n'y aura pas de palier 3, je sais que je vais trouver des alternatives méticuleuses, des attentions approfondies, des répits chauds, des trêves secrètes, sans être assommé chimiquement, sans être à moitié vivant.
C'est une question de terrain plutôt que de secteur/s. D'aires plutôt que de stades. De connaissance plutôt que de maîtrise. Et d'ouvertures toujours mieux tangibles.
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