jeudi 24 octobre 2013

Maximum indéfini.

La semaine dernière j'écrivais ce truc : « Si les gens pouvaient mourir un peu plus vite ils vivraient un peu mieux longtemps. »
Puis comme toujours il y a plein de phrases qui s'écrivent dans ma tronche mais ces dernières semaines il n'y a plus l'énergie pour les noter, les assembler, les faire danser. Il n'y a même plus d'énergie pour expliquer pourquoi il manque de l'énergie ; ce qui est actuellement assez problématique vis-à-vis de ma vie professionnelle et personnelle.

Plus d'énergie car le physique à plat, à vide. Ou à trop-plein.
Il peut y avoir des peines dans la tête, dans le coeur, dans les tripes, mais le corps profondément épuisé c'est autre chose. Ça perturbe quasiment tout, les projets du mois que l'on avait emballés joliment dans les semaines, les jours deviennent hasardeux, et puis en fait surtout les secondes à l'intérieur des minutes s'indéfinissent bizarrement. Temporalités labiles.
Le tic-tac horloger s'avère bien plus physique, tic pour la fatigue, tac pour les douleurs. Et entre les deux il se crée un espace parallèle qui, je l'avoue, bat tous les plaisirs : celui endorphinique de la douleur qui se calme et de la brève plénitude ensommeillante qui accueille. Mais qui isole aussi, j'ai l'impression d'absolument tout.

Sauf de penser à la mort.
Pas la mort morbide, pas la mort suicidaire-étouffée, mais la mort logique, la mort dealée à quelques nouvelles réflexions euthanasiques personnelles (je n'y suis pas, mais étonnamment j'y suis pour la première fois à y réfléchir de façon inédite... « ne jamais dire jamais »). Celle qui peut faire flipper bien sûr, principalement de sa menace du performant concours de douleurs. Celle qui fait chier parce qu'il y aurait - parait-il - encore plein de trucs à découvrir.
Sauf qu'en fait, celle qui ne se disserte pas.
Pas la mort dont on ne voudrait pas parler par pudibonderie (d'éducation validiste :)), mais dont on n'a pas grand-chose à dire aux autres lorsqu'on la sent si présente et... soutenante. Son soutien : de chuchoter on ne sait comment à l'intérieur de soi « si c'est la fin alors qu'elle soit belle ».

Je ne dis pas que je suis en train de mourir. 

Je dis que dernièrement je suis fatigué à un tel point(-virgule) que le dialogue le plus « vrai » qui se déroule discrètement entre mes organes et mes os, ma conscience et mes émotions, est avec cette mort. Et que ce dialogue se vit à la fois avec si peu d'énergies et toutes celles qui perdurent qu'il ne reste plus grand-chose pour les alentours intimes, sociaux, environnementaux.

Et cette nuit j'ai été ému d'apprendre qu'Ezra Caldwell est en train de mourir, mais bien plus la justesse avec laquelle il explique que la fatigue douloureuse chronique ne rend plus vraiment possible, plausible autant que prévisible la dynamique d'expliquer aux autres pourquoi les énergies communicatives manquent.
Puis tellement d'échos avec ce type - genre de discret génie humble - que j'avais découvert il y a plusieurs mois en cherchant des modèles de vélos pour Jeanne. Et là nous avions été scotché-e-s par les « coïncidences » (...) de ce gars : ses passions pour la danse, pour le vélo, pour la photographie, pour son mode de vie esthétique et culinaire, pour sa cabane océanique, et pour son cancer.
 

En tout cas la dernière fois que j'avais consulté les blogs d'Ezra Caldwell son cancer semblait évincé après de nombreuses escarmouches. Well, nope. Back again, and forever. D'accord, j'ai reçu cela cette nuit avec mon « d'accord » habituel (merci au calme de la nuit, là il m'en fallait énormément), et surtout donc ému par cette nouvelle concordance de ce qu'il exprime d'avec ce que je ressens ces dernières semaines, « I'm finding, however, that a lot of the time I'm at a bit of a loss for words ». Non sans s'activer à vivre plein de projets dès que son corps le permet, non sans sensiblement se retrouver happé par la photographie... Une sorte d'harmonie entre deux inconnus (& d'autres).

Le genre d'harmonie qui fait capter que quoi qu'il arrive, c'est beau. Ce n'est pas beau au final mais tout le long.
Malgré la troisième reprise d'antibiotique qui assomme et dont je ne supporte plus l'odeur de ma pisse. Malgré les antalgiques de niveau II administrés à un niveau conséquent et qui couvrent tout juste les seconds flots. Malgré le sommeil et l'appétit qui deviennent comme trop lourds. Malgré les migraines quotidiennes qui montrent du doigt la capacité respiratoire. Malgré les razzias de froid et les encerclements fiévreux. Malgré l'exténuation qui congédie la libido. Malgré les crampes, les tendinites, les rhumatismes, les contractures, les brûlures, les putain de je-ne-sais-quoi. Malgré que chier et pisser ça vire hardcore. Malgré qu'on en vient à vérifier l'urine, la salive, le sang, qu'on devient son perpétuel médecin et qu'on ne sait d'ailleurs même plus lequel consulter.





Alors dès qu'il y a du TEMPS avec le rare luxe de légèreté corporelle on photographie, on joue, on aime, on cherche à ne surtout plus rien perdre, on cuisine pour les autres (oui), on accueille, on écoute même si on parle peu, on projette petit mais sincèrement, on explose d'énergies. 

C'est dans le minimum qu'il y a du maximum. 

Jeanne m'a dit la semaine dernière que j'ai une volonté en titane, je lui ai répondu que même moi cette volonté me dépassait. J'ai pensé : même mon maximum est indéfini.


1 commentaire:

  1. « C'est dans le minimum qu'il y a du maximum »
    cela me donne des mots pour ceux qu'ils me manquent ces jours-ci
    et je vous admire que ça :
    « J'ai pensé : même mon maximum est indéfini »
    J'aimerais pouvoir le dire

    Bons baisers de Berlin

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