jeudi 16 mai 2013

Emmené.




Pendant que tu prends l'appel téléphonique je m'éloigne du banc où nous déjeunons, tu essayes toujours de dire bonjour à ton interlocuteur-ice tout en tentant de me retenir à demi-mots et à demi-gestes, commençant tout juste à te douter que tu n'y arriveras jamais. Je crois que c'est ton père qui t'appelle, je me demande ce que tu pourrais lui dire d'avec qui tu es présentement, ce type qui te ressort la même salade composée « un peu sèche » mais aussi te prépare un thermos de café vénéré.
Je vais marcher dans le parc. Je m'enfonce dans les sentiers, lentement en essayant de compter les gravillons qui crépitent de sous mes roues jusque dans mes jambes. Arrêt devant un amas de plusieurs dalles de béton armé ayant été apparemment déterrées et posées « en attendant » entre ces arbres sur la pelouse. Il y a cet amoncellement improbable, les barres d'acier qui sortent comme déchiquetées de plaques de béton elles semblant déchirées, arrachées d'un sol d'entrailles secrètes. C'est très moche, c'est très beau ; c'est toujours pareil : ce qui est moche au final je trouve cela beau. Je regarde hypnotisé ces décombres, ressentant ce truc : j'étais cela il y a encore peu de temps, autant que j'ai encore ces axes d'acier rouillé en moi, j'y pense toujours. Je ne bouge plus, j'observe, les brisures de ciment qui pourraient s'emboîter à mes blessures elles aussi de mortier. Sauf que je n'emboîte pas, je suis debout devant cet entassement qui n'est pas moi, qui n'est plus autant en moi.
Je ne sais pas combien de temps je suis resté planté ainsi. Mais de dos je te sens me regarder, je pivote et tu es loin grimpée dans un arbre en train de me scruter. Tu souris me voyant m'être retourné et avoir souri de surprise en t'apercevant dans un cerisier, on garde nos positions plusieurs secondes volontaires. Je me sens un peu tout nu à côté des décombres sur le gazon et dans mes pensées, je me rhabille mentalement et je retourne te rejoindre en essayant de compter dans ma tête comme lorsqu'un hypnotiseur nous fait se réveiller. Tu me dis doucement « tu es resté longtemps, je te regardais, tu avais l'air complètement absorbé... je n'ai pas vu, tu regardais quoi ? ». Calmement je te réponds « des souvenirs... le passé, je crois. »

*

Le jour où j'ai compris que mon ADV avait 7 ans.
Ce jour où pour la quarante-millième fois par manque de précaution durant la manipulation elle choque une orthèse biomécanique de bras adaptée sur mon fauteuil, matériel coûtant évidemment la peau de plusieurs culs, ce que j'indique professionnellement à chaque ADV durant la formation. Cette fois-ci l'orthèse tombe par terre et se disjoint violemment en plusieurs parties, la grosse connerie prévisible. L'ADV en ma direction s'exclame d'une voix enfantine doublée d'une nonchalance ado : « mais c'est pas moi, c'est l'orthèse qu'est tombée toute seule ! »
De ces jours - très nombreux dernièrement - où je comprends pourquoi le licenciement a malgré tout été inventé.


(En vrai, ça me lamine.)

Edit: aussi le vinyle mis à tourner... sur un autre vinyle.

*

Il est question que MChat n'a plus qu'une quinzaine de jours à vivre. Avis du médecin, diagnostic d'une hépatite aiguë. La roulette russe à savoir si son organisme va produire ou non des anticorps.
Le Minus ne s'alimente plus et est épuisé dans son corps, dans ses regards. Moi je ne vis plus vraiment autrement qu'en me pré/occupant de lui jour et nuit. J'ai conscience que les trois-quarts des humain-e-s ne peuvent pas concevoir comme je suis profondément ému, que m'allonger à côté de lui exténué et lui parler doucement (ou lui chanter des airs doux) est dernièrement ce qui me fait vite rentrer du boulot autant que ce qui me réveille en stress le matin.
Le Minus semble s'accrocher, il y a ces derniers jours des moments inouïs d'amélioration, puis des rechutes dures comme ce soir. Il y a gavages par seringues toutes les 2h, 2,5 à 5ml d'une mixture que je prépare minutieusement les matins, cherchant continuellement comment l'agrémenter de magie. 5ml (lorsqu'il y parvient) est minuscule, mais c'est un exploit/effort inestimable à chaque fois. Il reste doux, attentionné. Juste avant qu'il tombe malade j'expliquais à Jeanne que personne mieux que lui m'avait fait comprendre ce qu'est aimer : regardé et être regardé.
Je caresse ses petite côtes toutes amaigries en lui disant à l'oreille qu'il peut s'endormir et partir s'il le veut, que je reste à côté, et que s'il souhaite de la force et de la chaleur pour batailler alors je suis là à 300 %. Je pense qu'il n'y a pas dix minutes ces derniers temps sans que je le regarde lorsque je suis à la maison, et quoi qu'il arrive je ne peux que retenir combien il est beau.
 

2 commentaires:

  1. Concernant les adv..... Va falloir te mettre au Yoga, ou je sais pas, parce que là.... Tu vas finir par faire un syncope -_-
    Pour le vinyle, à la limite là faut admettre que tu en demandes beaucoup à cette/ces jeunes qui n'ont qu'à peine connu le CD (bon j'exagère mais j'imagine que celle dont tu parles n'avait jamais touché à un bras de tourne-disque de sa vie avant de bosser pour toi...si ?)

    J'envoie tout ce que je peux d'ondes positives pour MiniChat. Je sais pas trop quoi dire d'autre, je sais pas s'il y a quelque chose à dire en fait. Si besoin je suis là.

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  2. Je pense énormément à Mini depuis hier, lorsque j'ai lu ton blog… Ne l'ayant vraiment rencontré que dernièrement mais votre alliance était là, et que c'était beau !

    Je me dis la même chose concernant mes ADV's depuis un petit temps. L'impression d'avoir en face de moi des enfants et je me surprends à leur parler pour que quelque chose soit compris comme… à des enfants…

    Mehdi.

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