jeudi 23 septembre 2010
Le rire et les yeux du phoque. {Ou comment tout est possible.}
Mon enfance n'a pas été un merveilleux terrain de jeux. Ce fut plutôt tout l'inverse, tous les inverses.
Mais aujourd'hui j'ai eu un vrai rire d'enfant.
Je laisse désormais échapper ces rires avec une joie explosive, une libération vitale.
C'était à la piscine.
Je n'y étais pas retourné depuis un petit moment qui était pour moi un trop grand. Parce que je manquais de temps dernièrement (du travail dément partout et nulle part), et puis surtout je craignais une impression grandissante : après Ré ne plus supporter les murs et surtout les sons stridents du cube que peut être une piscine municipale plus ou moins remplie d'humain-e-s.
Dilemme pour autant : je n'ai pas encore réussi à régler l'immersion à l'océan & à la mer, la moindre vague me charrie trop douloureusement. Mes articulations de genoux ne semblent pas assez costaudes contre les vagues, et surtout boire la tasse en flottant-nageant allongé sur le dos est réellement trop dangereux pour moi. Pour autant, pour autant... j'y réfléchis fréquemment en bricolant des solutions et n'abandonne absolument pas l'idée de réussite.
Surtout pas après aujourd'hui.
Tout est possible, indéniablement.
Aujourd'hui dans l'eau j'ai eu d'étranges pensées et séquences relatives à mon enfance. De toute évidence mes parents (...) n'ont pas cherché à inviter le corps que j'habite à des plaisirs.
Notamment vis-à-vis de l'eau. Me rappelle avoir eu les plus grandes crises de larmes et de désespoir en regardant mes frères s'amuser à la piscine. Je pouvais les regarder mais je ne devais absolument pas penser aller jouer avec eux, mes parents ayant apparemment décidé que le handicap ne pouvait pas être aquatique. J'étais « baigné » exceptionnellement lors de rares vacances estivales, mais mes demandes de renouveler l'extase étaient niées.
Et j'ai réalisé cela récemment, devant la mer de Scheveningen où aller nager m'attirait au-delà de toute raison (aimantation physique) : mon corps dans l'eau a été presque interdit pendant très longtemps, assez longtemps pour que se crée en moi une attirance à peine contrôlable dotée pour autant d'une peur immense.
Derrière chaque envie fulgurante de s'enfoncer dans l'eau il y a une angoisse aussi fulgurante. Je réalise que le rapport à l'eau induit par l'interdit parental = danger de mort. Basiquement, oui, il y a ce danger mortel. Puisque je suis quasi entièrement immobile, j'ai une conscience et un haut niveau sensoriel de survie mais pas assez de réflexe musculaire. Alors une noyade peut être rapide.
Et je comprends de plus en plus que je dois combattre cette idée à chaque fois que je vais dans l'eau. Comme une phobie tenue en laisse.
Mon parcours aquatique est pour le moins atypique.
Tenu à distance de l'eau malgré moi jusqu'à ce que j'ai fui au plus vite la zone parentale. Néanmoins, je me suis encore considéré pendant plusieurs années comme non-immersible.
Mais j'ai pris ces quelques années pour réveiller mon corps peu à peu, également grâce à la confiance envers des amant-e-s qui ont été comme des petites clés de coffres.
Puis, je ne sais plus exactement comment, mais avec un peu de pholie [la folie de la phobie] j'ai essayé une piscine, puis une autre, ainsi qu'un lac, un petit torrent de montagne, améliorant de mieux en mieux mes confiances à l'eau.
Jusqu'à ce dont je me rappelle : le jour de mes 29 ans l'amie avec qui j'ai le plus confiance dans l'eau m'invite dans une toute petite piscine réservée pour nous deux, en me proposant que l'on prenne le temps nécessaire à cette journée d'anniversaire pour que je parvienne à entièrement m'immerger sous l'eau.
Car bien évidemment toutes ces années passées j'ai été incapable d'immerger ma tête, angoisse trop asphyxiante.
Mais ce jour-là au bout de 5h - de douceur et de lenteur, de corps à corps attentionné, de rires aussi - j'ai découvert un des états que j'aime désormais le plus au monde, celui d'avoir de l'eau bien au-dessus de mon crâne, contre toute ma peau et faisant entendre à mes oreilles ce son d'univers qui me fascine et m'apaise.
Quelques années ont passé depuis.
L'aquatique est devenu un équilibre indispensable à ma vie. L'angoisse existe toujours, presque à chaque fois ; mais les progrès et les nouvelles découvertes (désormais solo) ouvrent avec cette angoisse un dialogue de plus en plus limpide.
Je travaille les équilibres de flottaison/s, les micros mouvements de natation, les régulations de températures (étant extrêmement sensible au froid, mais apprenant étrangement de mieux en mieux à supporter dans l'eau), la respiration, les fermetures des voies respiratoires (ardu niveau muscu pour le nez et la trachée).
Et aujourd'hui...
Je me suis dit quelque chose comme : si j'en viens à ne plus aimer la piscine, il faut que je surpasse quelque chose.
Objectif que je ne parviens pas à atteindre depuis des mois : ouvrir les yeux sous l'eau. Rien de bien compliqué, me dirait-on et ai-je lu dans de nombreux bouquins de natation. Mais je crois que j'apprends l'eau comme on apprend n'importe quoi dans l'existence : au début maladroitement et avec plein de craintes.
Alors ces derniers mois c'était de tentatives en échecs : une fois sous l'eau, en ouvrant les yeux, soit je paniquais violemment dans mes apnées pourtant calmes, soit j'ouvrais en même temps la bouche par un réflexe incontrôlable, et donc...
Aujourd'hui j'ai de nouveau essayé. Des dizaines et des dizaines de fois. Au début trop brusquement, les mêmes échecs s'enchaînaient. Puis je suis parvenu à trouver une position pour tourner ma tête dans l'eau de façon à emmener très progressivement seul mon oeil droit dans l'eau ; quelques gouttes, puis quelques vaguelettes, pour quelque demi-ouvertures, puis de brefs regards aquatiques...
De plus en plus j'entrevoyais un univers que je n'ai pu encore jamais regarder mais juste entendre, et déjà entendre est magique.
Et je ne sais pas qui s'est passé. J'ai décidé d'arrêter un moment ces exercices et d'aller me reposer avec une apnée.
Les codes de communication sous l'eau sont clairement définis à chaque nouvelle apnée envers l'assistant-e qui me tient en immersion.
Codes ok -> signe d'immersion -> immersion.
J'écoute l'eau, puis sans même y penser j'ouvre uniquement les yeux, pour la première fois je parviens à les tenir ouverts, et je vois.
Je vois.
Le bleu rendu encore plus doux par le flou.
La lumière qui caresse.
Les couleurs qui se mélangent comme dans une aquarelle vivante.
Je donne le signal à l'assistante [mon index qui touche sa main] qui me remonte rapidement à la surface, et j'éclate de rire (limite un cri de phoque).
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