dimanche 4 juillet 2010

Brouillon d'un cowboï (paisiblement cloîtré dans un studio-cabane de bord de mer).


{ En écoute : violoncelle, Saint-Saëns puis Schumann. Un instrument d'une profondeur que je considère toujours organique. Comme le violon, il y a là quelque chose de l'ossature et de la musculature, un glissement organique sonore. D'ailleurs les violoncellistes et violonistes ont un rapport au corps de leur instrument que je trouve impressionnant, comme si plus que le violon/celle c'est tout leur corps qui fait instrument... nuque, poignet, doigts, dos, poitrine, cuisse... }



Thématique de ces derniers temps : se sentir seul.
Ambivalence : se sentir bien en étant seul <> se sentir mal en étant seul.
Essayer de décomposer.

Se sentir seul depuis quand ?
Depuis toujours, le même sentiment dès l'enfance.
Cela dit rien d'original car j'ai compris maintenant que suis censé être adulte que la majorité des enfants se sentent seul-e-s, c'est-à-dire qu'ils/elles bénéficient de très peu d'écoute attentive et de prise de choix dans le monde. Grossière erreur. Je pense une fois de plus qu'en permettant progressivement des responsabilités aux gosses, on leur éviterait de tourner en rond dans un mimétisme des pires attitudes adultes, rendant l'enfance « joueuse » du mode alternatif bourreau/victime. Pour ma part l'enfance a été surtout saccagée par des adultes, de ce fait je crois avoir créé peu de lien fort avec les enfants craignant d'ores et déjà leur devenir adulte (je cherchais déjà plutôt à l'époque des humaines-supernovae).

Bref, ce qui n'a absolument pas changé depuis l'enfance : mon esprit explose de réflexions, de questions, d'idées, d'ébauches ; comme si j'étais un mécano existentiel, que je ne cesse de démonter et remonter les innombrables pièces que fournit une vie. Fascination des rouages infimes et des prototypes inouïs.
Et c'est là où l'ambivalence se déploie. [Une mouche sur mon écran semble lire actuellement ce que j'écris...] Lorsque je suis ce mécano qui travaille à construire ses télescopes d'observation-compréhension-apprentissage, j'ai un besoin fondamental de solitude, je bouillonne d'énergie mais elle n'est vouée qu'à me concentrer sur des mécaniques, la focalisation peut être tellement intense que le moindre dérangement me déséquilibre fatalement. C'est alors une explosion sourde qui me rend trèstrèstrès mal.
Évidemment dans la réalité quotidienne j'ai appris au fil du temps à m'équilibrer du mieux possible avec les autres (je pense notamment que mes meilleurs apprentissages ont été en vivant en binômes-couples), je maîtrise/prévois/négocie du mieux possible la présence d'autrui, ses attentes, ses besoins, ses imprévus. Sauf que j'ai réalisé tardivement que j'encaissais des tonnes de frustrations épuisantes à trop vouloir m'efforcer, et qui me rendaient au final encore moins disponible aux autres car je m'éteignais peu à peu d'épuisement.

Ce premier aspect donne l'impression d'un fou (de Bassan) égoïste et égocentré. Là où mon ego est une pyramide de dominos...
Réellement : il y a des moments où tous ces mondes que je bricole j'ai profondément envie de les montrer, pour les rendre accueillants, plaisants, amusants, réconfortants, intrigants. Des nids stellaires, où je prévois inconsciement toujours une deuxième place. (Anecdotique : à tel point que lorsque je choisis solennellement un nouveau fauteuil électrique, une de mes toutes premières préoccupations est de savoir où je pourrais porter dessus un-e valide.)
Vouloir vivre seul ne signifie pas désirer vivre isolé. [Retour de la mouche lectrice.] Si je n'aime pas beaucoup m'entourer d'humain-e-s, ce n'est pas que je n'apprécie pas les humain-e-s ; je passe ma vie à être passionné des créations et intérêts humains, dans les livres, les musiques, les films, les arts innombrables, les sciences tout aussi vastes. Notamment je suis avide d'apprendre, et je ne peux qu'être reconnaissant de chaque individu-e qui me rend accessible son savoir & son art.
Ce qui me recroqueville ou me fait fuir c'est, dirais-je rapidement, l'envahissement de mon univers a priori invisible à autrui et donc rapidement empiété. Comme si mon espace intérieur a besoin d'un large espace extérieur, hmm un peu ceci :

{bulle extérieure} = (espace intérieur)³

Les poumons internes et l'oxygène externe. Bien sûr tout le monde a ses propres dimensions du Calme, néanmoins il m'apparait de plus en plus flagrant que mes limites à moi sont particulièrement minutieuses.
J'avoue que tout cela me désespère parfois, de l'idée que je me fais d'être invivable à quiconque ; je me vois comme une petite particule atomique, bouillonnante mais inassociable. [La mouche s'est posée sur le mot « flagrant »...]

Il n'empêche que je ne m'auto-vivifie pas à 100%, j'ai ce foutu besoin de partager des humanités immédiates en spatio-temporelles. J'appelle généralement cela
- « jouer » : l'inverse de s'ennuyer (travailler est souvent jouer)
- « connecter » : trouver et explorer des longueurs d'ondes
- « ping pong ».
J'aime la complexité (ne signifiant pas : les complications), elle m'intrigue, m'amuse, me rend curieux. Et j'avoue que le plus joli paradoxe est que c'est en l'humain-e que je peux peut-être (...) ressentir la plus intéressante complexité. Paradoxale car elle est plutôt imprévisible, et les imprévisibles me sont des giboulées d'angoisses... Elle m'est aussi parfois souvent décevante (manque de cohérence, d'honnêteté, etc) et ces déceptions m'engloutissent comme pas possible dans un gouffre.
Toutefois l'humain-e arrive parfois encore à m'attirer. L'humain-e pourtant si petit-e à côté de l'océan, du cosmos, de la nature immense et des rêves infinis. Sûrement une conséquence de mon inextricable humanité.

Ainsi je peux me sentir péniblement seul. Dans une forme de manque très étrange ou absurde : « rien ne me manque sauf... ? »
Sauf : ces personnes – souvent discrètes & ailées - qui ont la magie d'avoir su déployer l'univers en elleux, d'être des encyclopédies de délicatesse, de justesse, de clairvoyance envers le monde. Et ces personnes sont les rares qui me donnent encore envie de lire dans des yeux et surtout de donner – lentement - les clés de ma planète.

Lorsque les ballades solitaires diurnes & nocturnes entrainent des histoires merveilleuses qui ont soudainement envie d'être racontées à quelqu'un-e d'autre que soi, et d'écouter en retour cet autre raconter ses ballades. Mélanger des volutes, et créer des nuages improbables.
Lorsque dans mes cabanes j'ai envie de temps à autres que quelqu'un-e soit là à me surprendre doucement d'une musique qui s'élève, d'une senteur, d'un geste, de rires. Surtout entendre – et provoquer - ces rires, pouvoir apercevoir des sourires, je n'hésite pas à penser que ça vaut tout.
Les humain-e-s que j'aime, je peux passer des années³ à les observer, je ne me lasse jamais de leurs mouvements de vie (et de leur corps, absolument jamais).

Alors parfois je me retrouve dans deux intensités de solitudes que je ne sais plus comment conjuguer. Et c'est d'une douleur saturée.
(Je sais ne pas être le seul... autre paradoxe : être plein à être seul.)
Je peux en être profondément triste, égaré dans des questionnements gluants.
Mais je peux aussi chercher à améliorer le maniement d'armes essentielles : la confiance et la patience. « Petit à petit » plutôt que de se figurer des fatalités. Hum, plus facile à écrire qu'à dégainer...


*


Pendant tout ce temps le vent s'est levé à Ré.

2 commentaires:

  1. la mouche ne serait-elle pas la ré-incarnation de Deleuze?
    Bon séjour sur l'¨le de Ré à toi, Charles...

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  2. Sourire ! Dans ce cas-là Sa Majesté la Mouche Deleuze aurait pu sautiller sur le clavier et me transmettre quelques critiques judicieuses...
    Merci pour le « bon séjour ». C'est amusant, le mot « séjour » a notamment une signification concernant des liquides qui stagnent une certaine durée dans un endroit... Du coup je me vois à Ré comme une petite goutte dans un grand océan.

    Prends soin de toi.


    cx

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