Il paraît qu'il est temps de tourner la page, que c'est le moment.
Cette page de vie me paraît actuellement trop lourde, je ne sais comment m'y prendre pour la tourner. Il paraît que je suis déjà en train de la tourner, sans m'en rendre compte.
Il paraît.
Hier soir dans le bus en rentrant, je me suis dit qu'en attendant que cette page soit tournée, je pouvais en créer ici de nouvelles. Je me suis demandé comment je pouvais ancrer/encrer de nouvelles pages là où je ressens ma vie ces derniers temps comme une frénésie chaotique, où la peur et le doute déséquilibrent chacune de mes pensées, de mes sensations, de mes réflexions, de mes désirs et mes plaisirs.
J'ai alors pensé à rédiger mes images mentales. Ce que j'appelle « les images mentales » provient de ma lecture d'il y a plusieurs années du roman Le non de Klara de Soazig Aaron, dont je mettrai ici prochainement l'extrait. Il s'agit chaque jour de photographier une scène, de retenir une « image du beau » de la journée écoulée. Je pratique très fréquemment l'image mentale, particulièrement lorsque les journées me semblent être un labyrinthe répétitif, je m'applique alors à retenir une image qui suspend le dédale.
Image mentale.
Dans le bus, il y a en face de moi de l'autre côté du couloir un jeune homme qui semble dormir. Sa tête inclinée repose dans sa main droite et contre la vitre. Je regarde avec attention son visage et il me donne l'impression de quelqu'un de doux, de calme et d'observateur. Je le trouve beau.
Je regarde ses cheveux. Je n'ai jamais compris comment il faut définir la couleur des cheveux, je mélange depuis toujours les termes car ils ne me parlent pas. Le concernant, je dirais que ses cheveux sont oranges, d'un orange qui a rencontré le feu, il y a un mélange de lumière et d'automne dans cet orange. Un moment, je le vois comme un bord d'océan : sa peau comme du sable et ses cheveux comme des reflets d'eau brillants.
Puis je remarque qu'il a des écouteurs dans les oreilles. Alors peut-être que ses yeux sont justes fermés d'un plaisir de musique. Je scrute ses paupières, sa main gauche reposée, pour voir si elles battent une quelconque mesure (j'aime particulièrement relever ces micro-mouvements lorsque les nerfs se connectent directement à la musique). Rien. Il doit dormir. Je me demande si la musique s'est intégrée à son rêve. Je rêve de son rêve.
Définitivement, je le trouve beau. J'ai toujours terriblement aimé regarder les gens dormir. Ils sont apaisés, et ils se laissent voir. Alors je regarde : son poignet droit rougi par la flexion et le poids de sa tête dedans, sa barbe de quelques jours (je cherche s'il y a des poils qui brillent orange), sa mâchoire fine et aiguë, sa façon de se coiffer par vagues, son cou enroulé dans une écharpe grise (j'aimerais beaucoup apercevoir sa jugulaire, mais l'écharpe la cache)...
Puis, les muscles de sa mâchoire se mettent à se contracter. Ça m'impressionne toujours lorsque quelqu'un-e présente ce geste nerveux sur le visage. Je souris, il me fait penser à mon chat qui gigote légèrement lorsqu'il rêve. Il contracte de nouveau sa mâchoire. Je me demande s'il fait un cauchemar.
Il ouvre les yeux. Un dixième de seconde il paraît hagard, j'aurais envie de lui parler doucement dans l'oreille pour l'atterrissage éveillé. Évidemment je l'observe toujours, plus que curieux de savoir quel est le regard de cet homme, si j'y perçois du cauchemar ou bien une symphonie lumineuse, fort probablement de la douceur mêlée à de la vivacité... Il lève sa tête et me regarde immédiatement. Et tout aussi immédiatement, je m'empresse de dévier mes yeux ailleurs. Timidité. J'ai perdu son regard.
Mais je retiens comme image mentale : le garçon orange qui dormait dans la musique.
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