vendredi 27 juin 2014

Quotidiennâtre.


Je suis le gars qui est arrivé en retard hier à un rendez-vous car le chauffeur du bus ne savait pas faire fonctionner la rampe handie, pour la cinquième fois depuis le début de la semaine, et ainsi chaque semaine. Je suis le gars qui ne peut pas aller à la Poste de son quartier. Je suis le gars qui ne peut pas entrer dans trois-quarts des boulangeries de la ville. Je suis le gars qui a le choix d'extrêmement peu de salon de coiffure (et qui n'a pas envie d'un-e coiffeur-euse entrant dans son domicile). Je suis le gars qui a encore moins le choix de pouvoir accéder au cabinet d'un-e médecin, ostéopathe, kinésithérapeute, naturopathe, psychanalyste, dentiste, ophtalmologue, vétérinaire. Je suis le gars qui peut n'aller nager que dans une seule des six piscines de la ville, en devant prendre le bus jusqu'à loin. Je suis le gars qui ne peut pas entrer dans la meilleure librairie locale, ni aller au chouette Cinématographe. Je suis le gars qui choisit ses restaurants prioritairement par rare accessibilité du bâtiment plutôt que par préférence culinaire. Je suis le gars labélisé « trop handi » qui s'est fait jarter d'un club de sport au bout de plusieurs mois, et dont très peu d'activités sportives/physiques sont adaptées. Je suis le gars qui ne peut pas étudier à toutes les bibliothèques. Je suis le gars qui ne peut quasiment jamais aller rendre visite à ses ami-e-s dans leur appartement. Je suis le gars qui ne peut pas prendre l'avion (sous peine de se faire casser le fauteuil). Je suis le gars qui ne peut pas aller en urgence dans n'importe quelle pharmacie chercher un médicament pour un-e ami-e malade. Je suis le gars dont les ascenseurs pour prendre le métro sont majoritairement en panne. Je suis le gars qui doit parler aux commerçant-e-s sur le trottoir (couturière, cordonnier, disquaire, etc.). Je suis le gars dont dernièrement un serveur de restaurant refuse l'accès à la terrasse car « le fauteuil prend trop de place » (je suis le gars qui s'engueule avec le serveur car argument illégal). Je suis le gars qui paye plus cher que les valides de très rares taxis adaptés pour le fauteuil. Je suis le gars qui ne peut pas assister à la moitié des spectacles culturels. Je suis le gars qui peut loger dans très peu d'hôtels, et dont il y a une minorité de chambres handies. Je suis le gars dont Pôle Emploi n'a jamais proposé un emploi en 10 ans. Je suis le gars qui se ruine en trains sans possibilité de covoiturages, et oublions le stop. Je suis le gars qui a failli se pisser dessus plein de fois ne trouvant que très peu de WC accessibles en villes. Je suis le gars qui a dû attendre trois ans que le magasin de bricolage de son quartier daigne effectuer de faciles travaux d'accessibilité (et je suis le gars dont le gérant du magasin attend des remerciements). Je suis le gars qui ne peut pas utiliser la majorité des Photomaton [alors que pourtant...]. Je suis le gars qui ne doit pas avoir envie vers minuit de se dépanner de quelque chose dans une épicerie.

Je suis le gars qui est tombé en panne électronique hier de son fauteuil en plein passage piéton d'un gros boulevard, à l'autre bout de la ville. Je suis le gars qui avait prévenu le technicien depuis 5 jours de sérieuses apparitions de dysfonctionnement, dont hier durant l'urgence la secrétaire au téléphone a dit d'un air nonchalant ne pouvoir rien faire, qu'il fallait que je me débrouille.
Je suis le gars qui se débrouille tout le temps, tout seul, depuis toujours. Je suis le gars dont une journée n'est pas un quotidien mais un inconvénient. Un inconvénient normativement organisé, dont se débrouiller = survie invisible. 
Mon entourage me voit majoritairement « réussir » là où chaque jour je suis renvoyé à ce qui échoue. Je suis le gars qui se sent mentalement et émotivement loin de ses ami-e-s valides tant leur vie ne rencontre jamais mon type de quotidien. Mes ami-e-s me racontent que leur journée a été mauvaise parce que le chauffe-eau est tombé en panne, que le café a été renversé au petit-déjeuner, qu'un début d'eczéma apparaît sur leur corps, que la bibliothèque était fermée pour travaux, que l'ophtalmologue n'a délivré un rendez-vous que dans deux mois. Je suis pourtant le gars qui ne méprise pas leurs emmerdes, qui compatit en quoi cela affecte leurs journées, mais qui sait combien chacune de ses journées à lui leur seraient intolérables voire invivables, de cette permanente permanente permanente permanente permanente permanente permanente permanente permanente permanente permanente permanente permanente permanente répétition de l'empêchement. Je suis le gars qui est quotidiennement restreint à vivre des situations qui par contre sont acquises et évidentes pour mon entourage.
Je suis le gars qui se sent quotidiennement à peine légitime. Et qui est fatigué de déglutir des sabres.
 





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