lundi 7 mars 2016

Brûlis.




J'entre dans ce type dans la rue, je le bouscule. Centre-ville, centre-corps. Ai à peine dormi, histoire inepte d'une coupure d'électricité vers 03:00, je respire par l'électricité, « ventilation mécanique » ils-elles disent. J'entre dans le centre-ville après une nuit kafkaïenne d'hotline avec le SAMU, et j'ai ce hotdog sans-saucisse dans la main de l'assistante (il s'agit toujours de la main de l'autre) dont je me rappelle à peine l'achat. Suis censé traverser le centre-ville pour un rendez-vous ; une hotline et un hotdog, chacun-e soporifique, s'associent à mon retard. Je rentre dans ce type juste après avoir croisé une femme sur le même trottoir. Elle a quelque chose d'Izlé que je n'ai pas le temps de cerner. Une sinuosité dématérialisée, d'un noir brillant. Elle me sourit avant de me dépasser, ce n'est pas Izlé en définition mais en évocation. Ma tête tourne, poul de filaments supersoniques, le sang s'électrolyse en fin pétrole pourpre. Je n'avance plus droit, il n'est plus aucune heure connue ni aucune géographie établie. L'ici titube. Je m'arrête, ferme les yeux, injure mon esprit d'être aussi inconséquent, lui hurle de se bétonner. En rouvrant les yeux, déjà trop débordant d'humides, je fonce comme un brûlis. Sans percevoir ce type qui arrivera à peine à m'esquiver. « Je suis désolé... je... suis désolé, Monsieur... », je lui tremble.

Il n'y a pas un jour sans.

Il n'y a pas un jour qui ne soit pas deux ans.


 

vendredi 4 mars 2016









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dimanche 31 janvier 2016

Pénurie magnétique.



Morton Feldman, "For Philip Guston", 1984

 
« L'artiste oublie son engagement dans la transmission d'informations à d'autres humains, laissant l'objet absorber son engagement. Cette absorption typiquement humaine de l'intérêt existentiel par l'objet, cette morale du travail menace (sic!) non pas d'établir des moyens de communication par le truchement d'objets, mais au contraire d'ériger des barrières de communication entre les êtres humains. C'est au fond l'erreur ridicule sur laquelle repose l'art humain et qui apparaît clairement au point de vue vampyrotheutique.
On peut voir chez lui [le vampyroteuthis infernalis] à quoi ressemble un art qui ne tombe pas dans la même erreur, qui ne s'enferre pas dans des résistances objectales - soit un art intersubjectif et immatériel. Cet art ne produit donc pas des mémoires artificielles (oeuvres d'art), mais fait passer les informations immédiatement aux cerveaux de ses congénères pour y être enregistrées. En somme, la différence entre notre art et celui du vampyroteuthis est la suivante : là où il nous faut lutter contre la perfidie de la matière, lui lutte contre la perfidie de ses congénères. Ainsi, les artistes vampyrotheutiques sculptent le cerveau des récepteurs comme nos artistes sculptent le marbre. Leur art n'est pas objectif, mais intersubjectif : il cherche l'immortalité non pas dans les oeuvres, mais dans la mémoire d'autrui.
La stratégie de l'art vampyrotheutique, à l'instar de sa peinture sur peau, peut être dépeinte de la manière suivante : quand il éprouve quelque chose de nouveau, il cherche à stocker cette nouveauté dans sa mémoire, c'est-à-dire à lui attribuer une place parmi les informations déjà stockées. Constatant que la nouveauté ne se laisse pas classer, qu'elle n'y trouve pas de place, il lui faut réorganiser sa mémoire afin d'adapter cette dernière à la nouveauté. Sa mémoire, ébranlée par la nouveauté, doit la traiter (ce que nous, humains, nommons « activité créatrice »). Cet ébranlement créatif traverse son organisme, le saisit, et les chromatophores se contractent à la surface de sa peau pour sécréter des pigments. Il éprouve au même instant un orgasme artistique lors duquel l'éjaculation chromatique est encodée à même sa peau dans un langage vampyrotheutique. Cela ne manque pas d'intriguer le partenaire sexuel et l'amène à copuler. La copulation se charge en discussions au cours de laquelle la nouveauté pénètre la mémoire du partenaire pour y être stockée. [...] »


Vampyroteuthis infernalis
p.60-61
de Vilém Flusser et Louis Bec, éd. Zones sensibles, 2015



mercredi 30 décembre 2015

J'écris des autres.


je n'écris plus
je n'ycrois plus


Si tant est qu'elle dit en substance « tu vas trop loin »,
j'aimerais lui répondre : aussi loin que tu l'es.
(L'absence est le tendon de la distance.)

Je purgepurgepurge purge tous les poncifs possibles. En se mettant à jeun d'espérances quant à la réception cartilagineuse des pirouettes humaines. Si tu savais comme j'ai perdu les os, il a fallu se démanteler pour moins vibrer.
Personne ne le sait véhémant. Je passe juste pour un peu fade, un peu néant. Ça s'accommode à l'air du temps de la plèvre qui collapse.

Je bouffe la terre, Izlé. J'essaie de garder la bouche bien pleine pour que le silence paraisse rempli, et que j'assourdisse ma connerie. Du terrassement entre les lèvres
Je ne cultive pas d'illusions, il y a juste un monastère d'incompréhensions, qui héberge chaque tentative d'aller vers d'autres terres. Comme une religion sableuse. On fait du verre avec du sable, on consacre la lumière avec le verre. 
Et de l'eau. 
Et de la terre.
 





Boris Nordmann, "SéparationTéléphonique",
peut-être 2011

jeudi 8 octobre 2015

Faillir.


« Ils disent qu'il suffit d'oublier un peu. Que tous mes gestes  ne rappellent pas inévitablement la maladie, que ma vie n'est pas faite  que de ça. C'est vrai, en représentation, en public, je l'oublie. [...] Je joue sans faille mon rôle social. Il le faut. Sinon personne ne me supporterait plus. »

-- Claire Marin



Les mots des autres, 
lorsque les siens sont obstrués. Ne plus trouver de [parole] commun[e], de [culture/s] réciproque/s. 
Avoir accédé à un des silences les plus profonds, après autant de perte de résonance. Il y a quelques semaines depuis un box d'urgence de CHU, défaillance d'organes diagnostiquée critique. Contre toute attente clinique, être vivant. Contre toute attente biographique, ne plus savoir comment vivre. Comme ça.


« [Le malade] ne parle plus comme les autres. Il ne conjugue plus qu’avec prudence ses phrases au futur. Il est un être du conditionnel. Si je vais bien, si je guéris, si je ne suis pas hospitalisé sont les sous-entendus de chacune de ses phrases. Pas de futur simple. Pas de projection spontanée. L’élan de la pensée, comme celui du corps est freiné par des charges invisibles qui pèsent sur les articulations de sa vie. Les mouvements, comme les espoirs, son plus lents. »

« Patiente. C’est mon statut et l’ordre auquel je dois obéir. C’est un nom, un adjectif et un verbe à l’impératif. Ce qui me caractérise, c’est d’obéir à cet ordre qui m’est sans cesse implicitement rappelé. Patiente. Attends. Attends que la crise passe, attends que la douleur diminue, attends que le sommeil te délivre. Attends que cela fasse de l’effet. Une heure, trois jours, deux semaines. »


-- Claire Marin
"Hors de moi", éd. Allia, 2008




(Demander à la CoPilot si Eros peut réellement accompagner Thanatos. Ne plus y croire, la déroute du vouloir.)

Yvonne Rainer : « The mattress is a very evocative object, [...] evocative of illness and death and sex. »
 
 






samedi 5 septembre 2015

Petits feux.























« you cannot make love to concrete
if you cannot pretend
concrete needs your loving »


-- Audre Lorde
 

"Making Love To Concrete"
in "The Marvelous Arithmetics of Distance", 1993